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Roland-Garros - 3e tour | Portrait de Corentin Moutet, l'écorché qui peut sauver le bilan français

Christophe Gaudot

Mis à jour 31/05/2024 à 11:12 GMT+2

Jeudi, Corentin Moutet a connu un 2e tour en forme de montagnes russes à Roland-Garros. Finalement qualifié, le 79e joueur mondial a fait parler son talent autant que son fort caractère, une dualité qui le suit depuis ses plus jeunes années quand il était un espoir du tennis français qui peinait à contrôler ses émotions. Ouvert, artistique mais colérique, Moutet est un joueur et un homme à part.

Corentin Moutet est au 3e tour de Roland-Garros

Crédit: Getty Images

"Écorché". S'il fallait résumer Corentin Moutet en un mot, sans doute cet adjectif ne mettrait-il pas longtemps à être cité. Lui-même l'a choisi quand il a fallu titrer son "EP" de huit titres, peut-être un aveu au monde qui le connaissait joueur de tennis atypique avant de voir en lui un rappeur aux textes parfois autobiographiques et souvent profonds. Bouillant sur le terrain, doux en dehors, Moutet, qui défie ce vendredi Sebastian Ofner au 3e tour de Roland-Garros, cultive l'ambivalence d'un garçon qui a l'exigence dans les tripes.
On a dit et donc écrit beaucoup de choses sur Corentin Moutet. Qu'il était un grand espoir du tennis français, cadeau parfois empoisonné qu'il repousse car habité par l'envie de tracer son propre chemin. Qu'il avait un jeu à part dans un tennis moderne biberonné aux golgoths à qui il rend parfois 20, 30 ou 40 centimètres du haut de son mètre 75. Qu'il avait aussi un sacré caractère, preuve à l'appui avec quelques pétages de plombs restés célèbres dont ce "fuck you" lâché à un arbitre à Adélaïde en janvier 2022. Pour comprendre le si particulier Moutet, revenons quelques années en arrière.

L'injustice, ennemi intime

Le Francilien, natif de Neuilly-sur-Seine, a, aussi loin que se souviennent ceux qui l'ont fréquenté, toujours été ce joueur fantasque et talentueux soumis à des variations d'humeur. A 18 ans, il avait abandonné la finale des championnats d'Europe contre un certain Stefanos Tsitsipas alors que celui-ci n'était qu'à deux points du match parce qu'une décision arbitrale n'était pas allée dans son sens. L'injustice, voilà le premier ennemi de Moutet.
"Il ne supporte pas ça, confirme Philippe Pech, son entraîneur au Pôle France de Boulouris (Var) en 2012 et 2013. Le premier déplacement que j'ai fait avec lui, il avait 13 ans, c'était en Coupe de France. Il a voulu rendre un point à son adversaire et l'arbitre n'a pas accepté. Ça l'a fait dégoupiller, un set est parti parce qu'il était en rage." Son séjour de deux ans dans le sud de la France, lui le Parisien de toujours, qui rejoindra ensuite le Centre national d'entraînement de Roland-Garros (CNE) résume assez bien la difficulté parfois de saisir ce qui le traverse.
Enchanté de déménager dans le sud, Moutet fait marche arrière au bout… de deux semaines. Convaincu de rester par son coach et sa mère, il se fracture le tibia la première année en faisant de l'accrobranche et le poignet la seconde en jouant au football. "On a pensé que c'était cuit", remet Pech, certain que le gamin allait rentrer chez lui. A l'inverse, pendant sa convalescence, Moutet s'intègre et fait valoir ses qualités humaines, son ouverture d'esprit et la douceur de sa compagnie, hors du cours. Quand il est apte, il épuise en revanche ses coachs car la rigueur et le côté répétitif de la formation ne lui conviennent pas.
Il ne s'autorise pas à rater des choses. Il ne se pardonne pas grand-chose
Paul Quétin peut raconter la suite de l'adolescence du joueur, entre 15 et 17 ans, avant qu'il ne fasse ses premiers exploits sur le circuit professionnel. Le préparateur physique de la Fédération française n'a que des bons souvenirs d'un gamin très joueur avec qui il a aimé travailler. Cernant le personnage, il l'a très vite amené vers beaucoup de compétition, y compris pour le travail physique. Des circuits mêlant différents sports, le foot, le basket, le handball dans lequel il affronte Moutet pour lui apprendre à gérer l'échec et ses émotions.
"Quelques fois il est en guerre avec lui-même parce qu'il est tellement exigeant, perfectionniste, estime Quétin. Ce n'est pas avec les autres qu'il est en conflit, c'est avec lui-même, ses émotions, son envie de bien faire. Parfois ça va jusque dans la souffrance qui ressort sous différentes formes. Il ne s'autorise pas à rater des choses. Il ne se pardonne pas grand-chose."
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Trop chauvins ou trop timides : les spectateurs français en font-ils trop ?

Et tout ceci finit par exploser quand la moindre contrariété vient le perturber. Grégoire Jacq n'a partagé qu'un tournoi de double avec lui mais il a compris le personnage : "L'arbitre qui va faire une faute, un ramasseur qui va faire tomber une balle pendant un point, la rafale de vent, le faux rebond, tout ce qu'on peut imaginer comme interférence est source de potentiellement une déconnexion."

Piano et gendre idéal

A Côme, où il l'accompagne pour la première fois dans un Challenger, quelques semaines après le tournoi de Brest remporté par Moutet face à Stefanos Tsitsipas, Quétin est le témoin privilégié des deux faces de Corentin Moutet. "Sur le terrain, il avait toujours un comportement un peu limite, se souvient-il. Une fois le match terminé, il allait dans le club, jouait du piano, et remarquablement bien ! Il jouait des trucs tranquilles et les gens étaient surpris du paradoxe entre le chien fou qu'il y avait sur le terrain avec beaucoup d'énergie et ces moments où il était un peu le gendre idéal."
Le duo marche aussi beaucoup autour du Lac de Côme, se marre en se rappelant ces matches de badminton en cinq sets ou ces randonnées à l'Alpe d'Huez où Moutet en faisait baver à Paul Quétin et Laurent Raymond, son coach dont il s'est séparé fin 2022 quand il fut évincé de la FFT. Pourtant, les années CNE de Moutet sont une période heureuse où il travaille d'arrache-pied pour se construire une caisse hallucinante mais où, aussi, il fait parler son talent. Tristan Lamasine (282e à l'ATP) se souvient : "On a six ans d'écart, je devais être dans les 200 et je m'entraînais avec lui, des entraînements normaux ! Tu gagnais, tu perdais. Il était en avance."

Objectif 8e de finale à Roland-Garros

Le talent de Corentin Moutet l'aide aujourd'hui à faire lever les foules, comme à Roland-Garros au 1er tour où il a rendu fou un Nicolas Jarry pourtant finaliste à Rome. Cette main de rêve, c'est de l'innée chez lui jugent ceux qui l'ont vu grandir. Chez les jeunes déjà, son jeu rendait certains adversaires complètement fous, ce que Moutet a réussi à transposer dans le monde des grands, voire des très grands pour ce qui concerne le circuit ATP.
Vendredi, il défie Sebastian Ofner pour une place en huitièmes de finale de Grand Chelem pour la deuxième fois de sa carrière après l'US Open 2022. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'organisation l'a encore programmé sur un court Simonne-Mathieu qu'il a fait sien. Un jour, peut-être aura-t-il il régulièrement droit aux grands courts mais pour l'instant, c'est là qu'il écrit son récit. Une histoire faite de hauts, de bas, de coups de génie et de raquettes balancées. Corentin Moutet est bien tout ça à la fois.
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