Open d'Australie - Après sa blessure, Alexander Zverev face à un si long chemin

Alexander Zverev est redevenu un joueur de tennis. Mais il n'est pas redevenu Alexander Zverev. Six mois après sa terrible blessure au pied lors de sa demi-finale de Roland-Garros début juin, le champion olympique a retrouvé le chemin des courts en deux temps, d'abord lors de la Diriyah Cup, l'exhibition organisée fin décembre en Arabie Saoudite, puis de manière officielle à l'occasion de la United Cup, en Australie. C'est bon de le revoir sur les courts, mais ce plaisir s'est vite doublé d'une évidence : il lui faudra du temps, beaucoup de temps, pour figurer à nouveau parmi les joueurs qui comptent.

Zverev a disputé deux simples pendant la United Cup, pour deux défaites au score très sévère, face au jeune Tchèque Jiri Lehecka, 81e mondial (6-4, 6-2), puis contre une pointure, Taylor Fritz, membre du Top 10 (6-1, 6-4). Il s'est accroché, a fait ce qu'il a pu, mais son manque de rythme, et même de coordination au service, a donné l'impression par moments de voir évoluer un joueur repartant de zéro. Heureux d'être là, il savoure le plaisir simple d'avoir retrouvé sa place, mais il mesure sans se cacher le chemin à parcourir.

"En termes de feeling, ça allait, avait-il admis après sa défaite contre Lehecka. Mais mon tennis est très loin du niveau que je souhaiterais. Physiquement, je ne suis pas au niveau qui était le mien. Il n'y a même pas de débat. Je sens que je me fatigue beaucoup plus vite qu'auparavant. Je ne suis sans doute pas aussi rapide non plus. Je dois me réhabituer à certaines choses."

Ce n'est ni honteux, ni surprenant, ni catastrophique. C'est un jeu de patience auquel Sascha Zverev va prendre part ces prochaines semaines, peut-être ces prochains mois. "Est-ce que ça m'inquiète ? Probablement pas, a-t-il tempéré après la United Cup. Je suppose que ce sont des choses normales quand on n'a pas joué pendant quasiment sept mois. C'est une conséquence inévitable. Pour être honnête, cela ne fait que deux-trois semaines que je peux jouer sans ressentir aucune douleur. Avant ça, la douleur était là et elle m'empêchait de faire ce que je voulais sur le court."

La vraie interrogation le concernant tient au long terme : peut-il retrouver pleinement le niveau qui était le sien quand il a été stoppé net sur le court Philippe-Chatrier ? "Pour moi, rappelle Mats Wilander, il n'était pas loin d'être le meilleur joueur du monde." Même si ce sont deux choses différentes, la logique purement mathématique du classement l'aurait d'ailleurs selon toute vraisemblance installé au cours de l'été à la première place mondiale. Une chose est sûre, il était sur une trajectoire globalement ascendante et sa dernière victoire à ce jour, contre Carlos Alcaraz en quart de finale à Roland-Garros, était aussi une des plus convaincantes de sa carrière.

Et maintenant ? L'Allemand fait face à une triple problématique : physique, psychologique et tennistique. Il ne maîtrise pas totalement la première. Oui, on peut revenir au premier plan après une blessure. Mais d'autres, comme Dominic Thiem, ne s'en sont jamais vraiment relevés. Tout dépend évidemment de la nature du problème. Bien sûr, un Nadal ou un Federer ont triomphé à l'Open d'Australie, en 2017 et 2022, en revenant d'une absence d'un semestre. Mais ce serait en demander beaucoup trop à Zverev.

"On parle des superstars parmi les superstars pour ceux qui ont réussi à accomplir ça, souligne John McEnroe auprès d'Eurosport. La normalité, ce n'est pas ça. C'est d'avoir besoin de temps pour retrouver ses sensations et la confiance. Je ne vois pas Zverev revenir et rafler la mise comme ça du jour au lendemain et je pense que, dans son clan, il sera important de fixer des objectifs progressifs." Combien de temps ? "Je pense qu'il lui faudra probablement quatre ou cinq mois pour redevenir un athlète, juge Wilander. Il s'agit d'une blessure de six mois pendant laquelle il n'a pas du tout pu taper dans la balle."

L'état d'esprit du double vainqueur du Masters sera primordial, lui aussi. Sa capacité à ne pas se frustrer ou se décourager, à admettre que le temps lui donnera l'impression d'être d'abord son ennemi et non son allié. Puis cette question : aura-t-il mis à profit cet accident pour trouver la bonne distance par rapport à sa carrière ? "Parfois, la blessure peut être une chance, relève Mats Wilander. Un break comme ça, c'est l'opportunité de faire une pause, de prendre de la hauteur, d'avoir une perspective différente. Il peut se dire 'OK, attendez, j'ai été champion olympique, j'ai gagné deux fois le Masters, j'ai été N°2 mondial, j'ai eu une carrière incroyable si elle devait s'arrêter là' et ça peut t'aider à comprendre ce que tu veux vraiment, et en quoi tu veux devenir un meilleur joueur ?"

Ce qui nous mène au dernier point. S'il recouvre l'intégralité de ses moyens physiques et s'il ne cède ni à la panique ni à la crise de confiance durable, quelle direction Alexander Zverev donnera-t-il à son jeu ? La question était tout aussi valable il y a sept mois avant sa blessure, mais il n'en fera pas l'économie sur le long terme si les deux conditions préalables évoquées plus haut sont remplies.

"Je veux croire que ce qui est arrivé à Sascha Zverev pourra faire de lui un meilleur joueur de tennis, plaide Wilander. C'est là-dessus qu'il devra se focaliser. J'aimerais le voir devenir encore plus agressif. Tout dépendra de son état d'esprit et de sa motivation dans ce domaine. Est-ce que ça lui permettra d'obtenir de meilleurs résultats qu'avant ? Je ne sais pas et je comprends que, de l'extérieur, on juge le fait de savoir si quelqu'un progresse uniquement en fonction de ses résultats. Mais avec l'âge, et le recul qui est le sien maintenant, je crois qu'il pourrait emprunter cette direction-là. Mais évidemment, pour le moment, il a surtout besoin de temps."

Alexander Zverev n'a clairement pas ce luxe-là pour l'heure. Il n'en est pas à s'atteler aux questions de philosophie de jeu, mais à se reconstruire. Son retour sur le circuit a constitué un gigantesque pas en avant. Le plus spectaculaire. Chaque pas qui l'attend désormais sera de moins en moins impressionnant. Mais ce sont bien ceux-là qui le rapprocheront, plus ou moins rapidement, de celui qu'il fut. Il sera alors temps de savoir qui il veut être dans la prochaine phase de sa carrière. Aujourd'hui, il serait déjà heureux de franchir un tour ou deux à Melbourne.