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12 days : Quelques jours avec Roger Federer

Laurent Vergne

Mis à jour 20/06/2024 à 10:49 GMT+2

Dans le documentaire "12 days", retraçant les derniers jours qui séparent l'annonce de son départ à la retraite à sa dernière apparition sur un court de tennis, nous accompagnons Roger Federer dans son dernier voyage. Certaines images sont fortes. Certains mots, aussi. Peut-être plus encore. Surtout ceux qu'il partage avec Rafael Nadal et Novak Djokovic. Ils sont au cœur du film.

Laver Cup 2022 : Roger Federer, Rafael Nadal, Novak Djokovic.

Crédit: Getty Images

Il y a tout ce que l'on savait, ce que nous avions vu. Puis il y a tout ce que l'on imaginait et que l'on découvre ici. Les coulisses. Les discussions entre eux. Les rires. Les larmes. Dans "12 days", le documentaire retraçant sur Amazon Prime Video les 12 derniers jours de la vie de tennisman de Roger Federer, de l'annonce de son départ à la retraite (les caméras étaient déjà là, preuve que ce documentaire était déjà dans les tuyaux en septembre 2022) à son tout dernier match, en double, avec Rafael Nadal, le fan-spectateur a le sentiment d'être dans une position privilégiée, sorte de petite souris dans l'intimité du géant.
Car tout le sel de cette dernière séquence, c'est la manière dont Federer en fait un moment de partage avec ce qu'il nomme "la famille du tennis". Il est avec les siens, à tous les sens du terme. Ses proches, bien sûr, ses parents, ses enfants et l'incontournable Mirka, son épouse, à la parole si rare. Elle parle, ici, face caméra, et c'est en soi un événement. Elle pleure, aussi, beaucoup, et c'est bien la tonalité de ces 12 jours. Federer aurait pu intituler l'ensemble "Quelques jours avec moi", comme le si mésestimé film de Claude Sautet. Il aurait été adéquat car il s'agit bien de cela. Ils sont avec lui, et nous avec.

Djokovic, fallait pas l'inviter

Si Federer est évidemment le personnage central de sa propre histoire, ce dernier chapitre valait, à ses yeux, pour le partage qu'il permettait, y compris avec ses rivaux de toujours. Surtout avec ses rivaux de toujours, et en premier lieu les deux plus importants d'entre eux, Rafael Nadal et Novak Djokovic. Ces instants ensemble sont les plus savoureux de ces adieux à la Laver Cup, à Londres. Leur présence était indispensable aux yeux de Federer. Il est heureux qu'ils soient là, ils sont heureux d'être là.
Il y a quelque chose d'étrange pour eux. Ils savent qu'une page se tourne, pour Federer, mais pas seulement. Chacun enterre sa propre jeunesse à travers ces retrouvailles en guise d'au revoir. L'ensemble se veut détendu et festif, mais un départ de ce type est souvent comparé à une petite mort, alors les larmes ne sont jamais loin. On sent que, sans être tout à fait unis par une amitié profonde, qui eut été possible sans la distance née de la rivalité, Federer et Nadal partagent un lien aussi fort que différent.
Djokovic, c'est différent. Il est le rival arrivé après. Celui qui s'invite sans qu'on ne lui ait rien demandé. Il y a un côté "Fallait pas l'inviter" dont il ne se départira jamais complètement. Mais les paroles les plus fortes de ce documentaire, dites à voix haute en voix off, ou susurrées au creux de l'oreille et qui n'appartiennent qu'à celui qui les prononce et à celui qui les entend, sont bien celles de Federer sur Djokovic ou à Djokovic.
Quand "Rodgeur" vient saluer "Nole" sur le court de l'O² Arena à deux jours de la compétition alors que le Serbe est en train de s'entraîner, l'échange est sympathique, même s'il est bref, mais c'est pourtant l'absence d'une réelle proximité entre les deux champions qui surgit. Elle est presque évidente. Mais quand le Suisse parle de son rival, les mots sont à la fois incroyablement justes et incroyablement forts. Peut-être que Djokovic aurait aimé les entendre il y a bien longtemps, mais sans doute comprend-il que ce n'était pas possible avant.
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Roger Federer & Novak Djokovic

Crédit: Getty Images

Je pense que je n’ai pas accordé à Novak le respect qu'il méritait
Federer l'admet, Djoko a été vu comme le "party crasher", celui qui se tape l'incruste, entre Nadal et lui. Les fans, leurs fans, l'ont perçu comme cela. Sympathique et frais, d'abord, tant qu'il était le troisième homme. Puis franchement désagréable, voire détestable, quand il a osé leur passer devant. A Djokovic, beaucoup ont reproché sa façon d'être. Mais c'était une façon de masquer la réalité qui leur faisait mal : ils lui en ont d'abord voulu pour ce qu'il faisait, à savoir leur botter le cul plus souvent que l'inverse. "Beaucoup de gens ont pensé 'On n'a pas besoin d'un troisième mec, on est contents avec Roger et Rafa", dit Federer. Il n'est pas interdit de penser que, eux aussi, d'une certaine manière, ont pensé ainsi.
La suite ressemble à une forme de mea culpa de la part de l'octuple vainqueur de Wimbledon : "Je crois que la première fois que j'ai joué contre lui, c'était à Monte-Carlo (en 2006) et je suis sorti du court en me disant : 'Oui, il joue pas mal'. Mais même s'il y avait un certain engouement autour de lui, je n’étais pas vraiment convaincu. Je pense que je n’ai pas accordé à Novak le respect qu'il méritait à cause de ses failles techniques. J’avais l’impression que Novak avait une prise de coup droit très extrême et que son revers n’était pas aussi fluide qu'il l'est aujourd’hui. Mais il a ensuite très bien corrigé ces défauts et est devenu un joueur incroyablement monstrueux."
De Djokovic, il évoque aussi sa "forte personnalité", son "courage", sa "rage de vaincre, coûte que coûte". Le mot "incompréhension" revient également. Celle dont a souffert Djokovic de la part d'une partie du public. "Au final, je vois l'homme qu'il est, dit Federer. Je vois ses valeurs." Ils partagent l'une d'elles, selon lui : leur attachement profond à leur famille.
A la toute fin du double joué et perdu avec Nadal contre Frances Tiafoe et Jack Sock, Roger Federer est enseveli sous le poids de l'émotion. "Jusqu'ici, j'avais été solide, y compris dans les interviews. Même pendant le match, je me sentais très relax. Mais là..." Là, la digue a cédé et le moment le plus fort, par sa discrétion et sa pudeur, c'est celui que le néo-retraité partage alors avec Djokovic. Tous ses coéquipiers sont là, autour de lui, à l'applaudir et à lui donner l'accolade à tour de rôle. Vient le tour du Serbe. "Novak, à la fin, je lui ai dit des choses très personnelles", avoue Federer. Les images se superposent à la voix off. On voit le rival fondre en larmes à son tour. Ces mots-là leur appartiennent mais à l'évidence, ils ont bouleversé le Serbe.
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Djokovic : "Cela a été un peu dur pour moi de faire ma place au milieu de Federer et Nadal"

Nadal : "OK, il faut que cette merde s'arrête"

Avec Nadal, tout est donc différent. Leur relation est teintée de rapports qui s'approchent de la tonalité de l'amitié, peut-être même d'une forme de fraternité. Chacun est à sa place dans cette dernière ligne droite londonienne et c'est ce qui fait la force de ce scénario si bien huilé. On ne pouvait donc pas imaginer un autre partenaire de double que l'Espagnol pour cette der'. Des adversaires de si longue date, oui. Des rivaux de toujours, oui. Mais un couple, aussi. Complémentaires. Indissociables. Ce n'est pas un hasard si Federer, quand il évoque les deux éléments qui l'ont le plus secoué à Londres, cite la façon dont Mirka a traversé le moment et la façon dont… Nadal l'a vécu. Cela en dit long.
"Cela ravive tellement de souvenirs et d'émotions, avoue Nadal. Le sentiment avant une finale de Grand Chelem contre Roger, c'est différent. Une ambiance différente. Une pression différente. Savoir que je ne ressentirai plus jamais cette sensation dans ma vie, c'est douloureux." Nadal n'hésite pas à parler "d'un rapport d'amitié en dehors du court. Et c'est quelque chose de très difficile à construire dans ce milieu si compétitif." "Je le ressens aussi, répond Federer entre deux pleurs. C'est unique. C'est spécial, c'est le moins que l'on puisse dire." Au-delà des duels et des titres, c'est l'autre part de leur bien commun.
Tout le monde les a vus pleurer ensemble. Quand chacun est rentré au vestiaire, après la cérémonie, Nadal est déjà assis et toujours en larmes au moment où Federer arrive. Il vient l'embrasser. Nadal finit par se lever et cherche à se donner du courage pour arrêter de chialer comme un gosse : "OK, il faut que cette merde s'arrête." "Imagine si on avait gagné le double !", lance Federer pour détendre l'atmosphère. Réponse de Nadal : "Fucking Tiafoe."
Par la faute de son genou, Roger Federer n'a pas réellement pu choisir sa sortie, du point de vue de la stricte compétition. Mais d'une certaine manière, la Laver Cup était parfaite pour ses adieux. Pas pour ce qu'elle est. Mais pour ce qu'elle permet. Réunir, autour de lui, ce qu'il nomme "his tennis family and beyond." Sa famille du tennis était là. De Borg à McEnroe. De Murray à Laver. De Tsitsipas à Tiafoe. Du Ruud à De Minaur. Les grands frères. Les parrains. Les petits cousins. Et Nadal. Et Djokovic. Bien sûr. Les frères. Frères ennemis, frères amis, peu importe. Brothers in larmes, l'espace d'un soir.
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Roger Federer et Rafael Nadal après le dernier match du Suisse à la Laver Cup 2022

Crédit: Getty Images

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