The Masters - Mark Selby et la dépression : L'enfer, c'est aussi pour les autres

C'était il y a un an. Sèchement battu par Barry Hawkins (6-1) lors du Masters, Mark Selby, alors champion du monde en titre, prenait son courage à deux mains pour exprimer publiquement la profondeur du mal qui le rongeait via un tweet : "Je veux juste m'excuser auprès de tous mes amis et de ma famille pour les avoir laissé tomber. Mentalement, je ne suis pas dans une bonne passe pour le moment, j'ai fait une rechute. J'ai essayé de le cacher et de faire bonne figure, mais ce n'est pas la solution. Je promets d'obtenir de l'aide et de devenir une meilleure personne." Le tout accompagné d'un "hashtag" #MentalHealth.

Le 15 janvier 2022, l'Anglais jouait donc cartes sur table pour exprimer son mal-être. Malgré les titres, la gloire et l'argent, il a, comme beaucoup d'autres stars du snooker avant lui, été rattrapé par la dépression. Mais peu s'en sont ouverts avec autant de franchise que le "Jester from Leicester" ces douze derniers mois. Longtemps, il a pourtant refoulé tout ça sous le tapis. Depuis la sortie de l'adolescence, sans doute. Sa mère avait quitté le foyer familial très tôt et à la mort de son père alors qu'il n'avait que 16 ans, il s'était plongé à corps perdu dans sa carrière de joueur professionnel. Mais comme il l'a expliqué dans The Sportsman, il n'avait jamais réglé cette question.

Au mois de décembre, lors d'une interview sur Eurosport British (J'ai un doute sur le qualificatif), on lui avait demandé quel était son principal objectif pour 2023 en dehors du snooker : "En finir pour de bon avec les médicaments pour me sentir à nouveau libre." Et à la table, que pouvait-on lui souhaiter sportivement pour cette nouvelle année ? "En finir pour de bon avec les médicaments pour me sentir à nouveau libre." Le tout dit dans un sourire mais Selby avait tout résumé ici : le champion n'irait pas mieux tant que l'homme ne serait pas totalement apaisé, et vice-versa.

Il y a quelque chose de touchant et sans doute de salutaire dans la façon dont l'actuel numéro 2 mondial s'est épanché tout au long de l'année 2022 sur ses problèmes personnels. Aujourd'hui, alors qu'il va mieux, Mark Selby revient sur la façon dont il a traversé cette épreuve. Il y a ce que chacun pouvait voir : un joueur moins conquérant et moins performant. Et tout ce que le grand public ignorait. L'homme privé, qui vivait l'enfer et le faisait vivre aux autres. A son épouse, Vikki, notamment.

"Par bien des aspects, cela a été plus dur pour elle que pour moi, admet le joueur aux 21 titres ranking. Mon psy m'avait prévenu : mes proches allaient ressentir les effets de mon état et de façon démultipliée. C'était dur pour Vikki, parce qu'elle ne savait pas toujours si elle disait les bonnes choses ou non, elle était inquiète de savoir si elle m'aidait ou rendait les choses encore plus difficiles. Mais elle a été un rocher. Je pense sincèrement que sans elle, je ne serais peut-être pas assis là aujourd'hui. Je lui dois tout."

Mark Selby lui doit déjà, en premier lieu, d'avoir crevé l'abcès en janvier 2022. Elle le poussait depuis plusieurs mois déjà à vider son sac. "Cela faisait des lustres que Vikki me disait 'Sois fort, sois courageux et parle !', mais je repoussais l'échéance et ce n'était jamais le bon moment. J'aurais dû l'écouter la première fois qu'elle me l'a dit..."

La peur des réactions, une forme de honte aussi peut-être, et Selby a freiné des quatre fers, avant de le regretter : "J'ai été sidéré par la nature des réponses et des messages que j'ai reçus quand j'ai parlé. Peut-être encore plus de la part du grand public. C'était juste un regard parfois, ou quelques mots comme 'Tu as bien fait de parler', 'Bravo', 'Courage, on te soutient', tout ça m'a fait du bien."

L'ancien numéro un mondial a aussi compris que si le snooker avait été la cause principale de ses maux, il pouvait paradoxalement faire aussi partie de la solution. En cela, il s'est inspiré de... Tyson Fury, le champion du monde WBC des poids lourds, lui aussi miné par la dépression. "J'ai lu que Tyson Fury expliquait que s'il était sorti de sa retraite, c'est parce qu'il sentait qu'il glissait à nouveau sur une mauvaise pente et qu'il avait besoin de se donner un but, une motivation, quelque chose qui le fasse à nouveau avancer", reprend l'Anglais.

Alors Mark Selby s'est remis au boulot, y compris chez lui et, à sa grande surprise, il y a retrouvé le plaisir de l'entraînement et, par ricochet, celui du jeu. "Je m'amuse à nouveau à la table", dit-il. Ce n'est sans doute pas un hasard si, fin décembre, juste avant Noël, il a remporté l'Open d'Angleterre, son premier titre depuis le Championnat du monde 2021, vingt mois plus tôt. Après sa victoire en finale contre Luca Brecel, on l'a vu les larmes aux yeux sur sa chaise. Vikki, en tribunes, n'était pas moins émue. Tous les deux savent d'où il revient. "C'était un moment fort, oui, et c'est sans doute mon plus grand titre", estime-t-il.

A 39 ans, Mark Selby en a-t-il fini avec ses affres ? "Je vais beaucoup mieux, mais je ne considère pas encore que j'en suis complètement sorti, parce que je sais que je peux rechuter et c'est aussi ce que j'ai retenu des propos de Tyson Fury", dit celui qui, à partir de dimanche, tentera de conquérir à l'Alexandra Palace de Londres un quatrième Masters. Même si là n'est pas l'essentiel : "Parler de ma dépression, admettre que j'avais besoin d'aide, c'est la chose la plus courageuse et la plus dure que j'ai pu faire. Bien plus que n'importe quel match, que n'importe quel titre dans ma carrière. Et il s'en faut de beaucoup. C'est une grande fierté. La meilleure chose que j'ai faite dans ma vie."