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Euro 2024 | Pas forcément mieux que les Bleus : L'Angleterre, le mal-être et le néant

Philippe Auclair

Mis à jour 27/06/2024 à 17:11 GMT+2

Alors que le sort, mais aussi les performances et les résultats moyens de quelques-uns de ses adversaires, a ouvert à l'Angleterre une partie de tableau qui pourrait bien la conduire jusqu'à la finale, notre chroniqueur, Philippe Auclair, analyse le début de tournoi des Three Lions. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils sont plus proches du néant que de l'extase.

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Il suffit parfois de quelques minutes pour savoir à quoi ressemblera un match. Dans le cas d'Angleterre-Slovénie, on n'avait pas joué quatre-vingt-dix secondes qu'on avait déjà vu Kyle Walker, Jordan Pickford, Declan Rice et Kieran Trippier (deux fois) gesticuler pour manifester leur frustration de ne pas avoir reçu le ballon, ou dans de mauvaises conditions, et exhorter leurs coéquipiers à se projeter davantage vers le but slovène.
Le ton était donné. Le ton d'une performance indigente qui évoquait le souvenir douloureux d'un autre 0-0, l'Angleterre-Algérie du Mondial de 2010, une fenêtre ouverte sur le néant qu'on espérait fermée pour de bon, et qui s'est rouverte dans la chaleur de Cologne.
Un ami anglais ne plaisantait qu'à moitié lorsqu'il me disait que l'Angleterre ne s'était toujours pas remise d'avoir perdu son quart de finale de la Coupe du Monde de 1970 3-2 contre la RFA après avoir mené 2-0 jusqu'à la 68e minute. Depuis, l'histoire de cette sélection ne semble faite que de traumatismes répétés ad infinitum, de plaies que rien ne semble cicatriser. Les séances de tirs au but qui finissent presque toujours par mal tourner. L'expulsion de Beckham en 1998. Celle de Rooney en 2004. Le but fantôme de Frank Lampard contre l'Allemagne en Afrique du Sud en 2010. Le cauchemar islandais de 2016. La Main de Dieu. Donnarumma à Wembley. Le pénalty manqué de Kane au Qatar, qui aurait ramené les Three Lions à hauteur de la France à six minutes de la fin de leur quart de finale.
Le désespoir, je m'en accommode. C'est l'espoir qui m'est insupportable
C'est comme si, depuis cinquante-quatre ans, l'Angleterre charriait son fardeau comme le marin de Coleridge condamné à expier le crime d'avoir tué un albatros. C'est la fameuse réplique lancée par John Cleese dans le film Clockwise. "Ce n'est pas le désespoir, Laura. Le désespoir, je m'en accommode. C'est l'espoir qui m'est insupportable".
Or cet espoir, c'est aussi Gareth Southgate qui l'a fait naítre, en créant un environnement plus accueillant pour une génération exceptionnelle de jeunes footballeurs en passe d'arriver à maturité. Même les échecs - tout relatifs - essuyés à l'Euro 2020 et aux Mondiaux de 2018 et 2022 s'inscrivaient dans le cadre d'une progression quasi-constante. Ces déceptions pouvaient aussi se révéler des tremplins, comme la Coupe du Monde de 1978 avait été celui des Bleus pour le Mondial de 1982, et le Mondial de 1982 pour l'Euro 1984.
Ce qu'on a vu des Three Lions depuis le début du présent tournoi suggère qu'on s'était trompé. Southgate avait pourtant surpris en sélectionnant un groupe dans lequel il avait fait fi des réputations et intégré des footballeurs qui sortaient de saisons réussies en tous points avec leurs clubs - Guéhi, Gallagher, Palmer, Eze, Gordon, pour n'en citer que cinq. Mais hormis une première période réussie contre la si friable Serbie, l'Angleterre n'a pas servi le festin attendu. Tendue, frileuse, apathique, elle s'est contenté de resservir un plat cent fois réchauffé, écoeurant à force d'insipidité.

Plus fatigués les Anglais de Premier League ?

La fatigue est bien un facteur. Une étude de SkillCorner, une société spécialisée dans le "tracking" individuel des joueurs, montre que si ceux qui évoluent en Liga ou en Serie A couvrent de plus longues distances en 90 minutes, ceux qui exercent leur métier en Premier League effectuent plus de sprints à haute intensité que quiconque; et rien ne sape davantage les organismes que la répétition de ces courses.
Il est donc logique que l'équipe d'Angleterre, dont quasiment tous les titulaires potentiels évoluent dans leur pays d'origine, affiche un moindre état de fraîcheur que ses rivales - si ce n'est que Harry Kane et Jude Bellingham, qui ont paru épuisés contre la Slovénie, portent les maillots du Bayern et du Real Madrid, et que le coéquipier du second Dani Carvajal, qui joue à l'un des postes les plus exigeants qui soient, et n'a pas beaucoup moins joué que l'Anglais, semble se porter comme un charme. La fatigue a joué son rôle, mais ne peut constituer une explication.
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La pression exercée par les médias britanniques ne peut pas non plus être invoquée comme cause du mal-être des Three Lions. Oui, les critiques ont été très vives depuis un 1-1 plutôt chanceux face au Danemark, et encore plus après la bouillie offerte contre la Slovénie. Mais jusque-là, Southgate et ses joueurs avaient pu compter sur la compréhension et le soutien de la plus grande partie de ces médias, bien loin des attaques hystériques qui avaient autrefois ciblé Taylor, Keegan, Eriksson, Capello, MacClaren et Hodgson.
Ce n'est pas parce que Gary Lineker a qualifié la prestation des Anglais face au Danemark de "merdique" (un qualificatif qui n'avait rien d'immérité) que leurs attaquants semblent incapables de presser les défenseurs adverses comme le font, par exemple, la Slovaquie et l'Autriche - ou de montrer le dixième de la créativité de la Géorgie. Et ne parlons pas de l'Espagne, de grâce.
Le bloquage mental qui affecte l'Angleterre relève d'une forme de névrose à laquelle Southgate lui-même n'échappe pas, qui s'auto-amplifie au fil des matches, comme un feedback de guitare dans une chambre d'écho. L'Angleterre tourne en rond dans sa tête, de plus en plus vite, ce qui la fait jouer encore plus lentement. Elle en est consciente. Elle se demande comment sortir du cercle vicieux qu'elle s'est créée pour elle-même. Et plus elle se pose de questions, moins elle avance sur la voie de la guérison.

Alexander-Arnold déçoit mais Bellingham aussi

Le diagnostic de ce mal n'est pas des plus difficiles à formuler, à la différence du remède qui le combattrait avec succès. Ce à quoi aspire Southgate, pour ce qui sera sans doute son dernier grand tournoi, est confus. Trent Alexander-Arnold en milieu de terrain. Pourquoi pas ? Mais le joueur de Liverpool a déçu dans ce rôle (pas beaucoup plus que quelques autres, doit-on ajouter), et Southgate se tourne donc vers celui l'avait remplacé lors des deux premiers matches de poule, Connor Gallagher.
Mais Gallagher semble perdu sur la pelouse du RheinEnergieStadion quand il est titularisé face à la Slovénie (pas beaucoup plus que d'autres, doit-on à nouveau ajouter), aussi ne dure-t-il qu'une période. Le sacrifier est autrement plus facile qu'accepter que le Golden Boy Bellingham, le nouvel intouchable, n'a rien offert non plus. Si l'Angleterre a un plan, elle sait rudement bien le cacher.
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Jude Bellingham frustré lors d'Angleterre - Slovénie

Crédit: Getty Images

Le plus extraordinaire dans l'affaire est que, par un alignement presque parfait des planètes, ces Three Lions ont vu un boulevard s'ouvrir devant eux dans leur moitié de tableau. Il n'y aurait rien d'implausible à ce que cette équipe chante God Save The King sur la pelouse de Berlin le 14 juillet prochain. Elle a les talents pour cela, à défaut d'avoir le jeu pour les exploiter pleinement. Il se peut que Southgate parie pour de bon, pas du bout des doigts, et trouve une formule qui fonctionne, par nécessité ou par hasard.
Phil Foden s'étant rendu au chevet de sa compagne Rebecca pour la naissance de leur troisième enfant, Southgate se verra sans doute obligé de battre les cartes pour le huitième de finale des Anglais contre la Slovaquie ce dimanche. Ce pourrait être l'occasion de dynamiser son équipe en alignant Gordon et Mainoo d'emblée, avec Bellingham dans un authentique rôle de numéro 10. Ce pourrait...allez savoir !
Et là est le noeud du problème. Quoi qu'il arrive, on continue d'espérer, quand bien même on sache que cet espoir ne soit en définitive qu'une prière adressée à un Dieu qui, jusque là, l'a toujours ignorée.
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