Euro 2024 | Turquie - Portugal : Bernardo Silva et la petite musique du grand sacrifice

Il a beaucoup été question, ces derniers jours, de la révolution culturelle opérée par l'Espagne. Mais à voir les matches du Portugal, on en viendrait presque à se demander si la Roja n'a pas transmis son ADN à son voisin ibérique. Avec tout ce que cela implique de positif, mais aussi de négatif.

Mardi, le Portugal s'est imposé sur le fil face à la République Tchèque (2-1) au terme d'un match qu'il a pourtant dominé de la tête et des épaules. Malgré quasiment 75% de possession sur l'ensemble de la rencontre, malgré un onze ultra-offensif - où Nuno Mendes était ailier et João Cancelo milieu de terrain - l'équipe de Roberto Martinez a éprouvé toutes les peines du monde à mettre en danger la défense adverse.

Cet "échec", qui n'en a finalement pas été un, est résolument collectif. Mais un homme, en particulier, l'a incarné : Bernardo Silva. Parce qu'il est l'un des meilleurs joueurs du monde évoluant dans l'une des meilleures équipes du monde, le Citizen continue de générer beaucoup d'attentes autour de lui, même s'il n'a finalement jamais été aussi impactant en sélection. Pire, il n'a même jamais été décisif en grande compétition internationale.

Souffre-t-il, lui aussi, du syndrome guardiolien que certains pensent avoir également détecté chez Phil Foden ? Possible. Même si, comme pour l'Anglais, certains éléments concrets existent, à commencer par son positionnement.

Il y a quelques années, lorsqu'il a commencé à replacer Bernardo Silva dans un rôle plus central, Guardiola l'avait justifié en certifiant que son joueur était si intelligent qu'il pouvait "jouer à n'importe quel poste, sauf gardien de but". Pas plus tard qu'en début de mois, Roberto Martinez l'avait imité en annonçant qu'avec un tel cerveau, le joueur fera forcément un grand entraîneur.

Le technicien espagnol s'est aussi inspiré de son compatriote pour construire son plan : "Comme les Tchèques protègent énormément leur surface, l'idée était de composer une ligne horizontale et de créer une supériorité numérique avec Bruno Fernandes et Bernardo Silva au cœur du jeu, en offrant beaucoup de possession à Vitinha."

Et pour comprendre le cheminement l'ayant amené à cette conclusion, il faut avoir en tête l'opinion précise de Martinez au sujet de Bernardo Silva. "Désormais, avec le développement de cette culture de possession, la différence entre une bonne équipe et une équipe gagnante est la capacité qu'elle a à amener le ballon dans le dernier tiers adverse, a-t-il détaillé dans le podcast FIVE de Rio Ferdinand. Quand nous revisionnons des actions de but, nous constatons qu'il y a toujours quelque chose d'intuitif. Avec Bernardo, c'est différent : il a toujours une idée, une réflexion, une ligne qu'il suit. C'est un cerveau incroyable."

Dans les faits, tout n'est pas toujours si évident. Malgré toutes ses qualités, le Mancunien n'a pas apporté de variété au jeu portugais, en tout cas pas plus que ses coéquipiers, ni évité que le dernier recours vire à la caricature. Face aux Tchèques, la Seleção a tenté 23 centres. Quatre, seulement, ont trouvé un coéquipier dans la surface.

Sans rythme, sans verticalité, avec un CR7 muselé par deux hommes, Bernardo Silva n’a pas fait de miracle. D'autant qu'avec l'âge (bientôt 30 ans), sa vivacité a quelque peu flanché et sa capacité à éliminer balle au pied aussi, comme le démontrent ses statistiques en Premier League (73% de dribbles réussis en 2019-20, 44% en 2022-23 avant un rebond à 62% cette saison).

La question est donc la suivante : l'intelligence tactique de l'ancien Monégasque, bien supérieure à la moyenne, est-elle également suffisamment supérieure à celle de ses coéquipiers pour justifier son statut d'intouchable ? Bruno Fernandes est l'incontestable leader de cette sélection, puisqu'il en est le joueur le plus décisif. Et Vitinha est l'incontestable meilleur joueur portugais du moment.

Au Portugal, alors que le débat autour du statut de Cristiano Ronaldo a largement été étouffé par le très bon niveau du quintuple Ballon d'Or, il semble s'être déplacé vers le poste d'ailier droit occupé, sur le papier, par Bernardo Silva. D'autant que Francisco Conceição, spécialiste de l'aile, a joué les sauveurs lors de son entrée en jeu et que sa capacité d'élimination, à lui, est exceptionnelle. Au terme d'une analyse menée entre avril 2023 et mars 2024, le CIES avait conclu que "Chico" était le meilleur dribbleur en dehors des 5 grands championnats, parmi 73 compétitions observées.

"Il a été le dynamiteur dont nous avions besoin", avait commenté Roberto Martinez au sujet du fils de Sergio. Au point de fragiliser l'immunité de Bernardo ? Depuis quatre jours, la question alimente des heures et des heures de plateaux, avant et après les journaux télévisés. "Il est un joueur brillant titulaire à Manchester City, a défendu un ancien dirigeant du Sporting, Paulo Andrade, sur CMTV. Ce n'est pas comparable à Francisco Conceição. Il y a quand même une différence entre mal jouer et être dans un jour sans." La thèse peut encore être défendue. Mais va-t-elle survivre aux deux prochains matches ?