Jeux Olympique Paris 2024 | L'escrime française, entre querelles internes et paradoxe absolu

Gilles Della Posta

Mis à jour 31/05/2024 à 09:58 GMT+2

Au terme de la saison 2023-24, les épées, sabres et fleurets ont à peine eu le temps de retrouver leurs housses que l'officialisation des listes de sélectionnés de l'escrime française au Jeux Olympiques a remis le feu aux poudres. Plongée dans une fédération qui traverse l'olympiade la plus difficile de son histoire.

Alexandre Bardenet, Gaetan Billa, Yannick Borel et Romain Cannone 2es des championnats du monde Epée 2023, à Milan

Crédit: Getty Images

Comme de tradition, le mois de mai a mis fin aux calendriers de Coupe du monde d'escrime. Année olympique oblige, les sélections pour les Jeux de Paris 2024 étaient dans les esprits de tous les tireurs. Quelques "privilégiés" se sont offert le luxe, en s'adjugeant la place de numéro un français dans leur arme, de dormir tranquille en attendant l'officialisation des sélections par le Comité national olympique français. Marie-Florence Candassamy et Yannick Borel pour l'épée, Sara Balzer et Sébastien Patrice pour le sabre, Enzo Lefort et Pauline Ranvier pour le fleuret étaient déjà assurés de tirer au Grand Palais. A l'exception du fleuret féminin, obligé d'attendre la fin de la période possible d'appel de l'Agence mondiale antidopage concernant le cas de Ysaora Thibus pour rendre sa copie, les sélections sont désormais connues. Et dans la continuité d'une olympiade tourmentée, l'escrime française s'est encore infligé une crise de nerfs dont elle aurait pu se dispenser.
Sélectionner, c'est trancher, avec son cortège de déçus. Mais de mémoire d'escrimeurs, retraités, expérimentés encore en activité, les tensions et les décisions contestées n'ont jamais été aussi nombreuses qu'en cette année de retour des Jeux à Paris. Pour trouver l'origine de tous ces tourments, il faut prendre un peu de recul. D'abord une querelle de clochers opposants les défenseurs de l'Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance) où sont regroupés la majorité des meilleurs Français, et les partisans de ceux qui veulent pouvoir s'entrainer dans des académies privées. Ensuite, l'absence du directeur de la haute performance, Frantz Philippe, en arrêt maladie depuis la démission du précédent président de la fédération Bruno Gares, en septembre dernier. L'élection en tant que présidente par intérim de Brigitte Saint-Bonnet pour tenter de faire fonctionner la fédération n'a pas calmé tous les esprits, et les sélections des olympiens ont provoqué un nouvel embrasement.
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"A la Fédération, c'est un peu le bordel, on n'a jamais connu ça"

Une unanimité qui surprend Cannone et Borel

"Il y a des problèmes dans toutes les armes. Les sélections parlent d'elles-mêmes, c'est que du politique, on oublie le côté sportif", s’est lamentée la sabreuse française Charlotte Lembach mercredi soir sur Eurosport, dans l'émission "Mon Paris Olympique".
L'exemple le plus frappant vient de l'épée masculine. Yannick Borel et Romain Cannone logiquement sélectionnés, la (mauvaise) surprise est tombée sur Alexandre Bardenet, double champion du monde par équipe et pilier historique de l'équipe de France. Quinzième du classement mondial, le tireur de Levallois-Perret s'est vu préférer Luigi Midelton (23e mondial) et Paul Allègre, qui émarge au 62e rang mondial. Un choix d'autant plus douloureux que Bardenet figurait encore dans le carré français au Challenge Monal, durant lequel les Bleus se sont inclinés en finale face au Japon.
Malgré la différence de statut mondial, la décision a été prise à l'unanimité. Le manager de l'équipe de France, le sélectionneur Senior, le DTN et le président de la commission épée étaient tous sur la même longueur d'ondes au moment d'écarter Bardenet. Cannone et Borel, avec qui il a partagé ses deux sacres mondiaux, n'ont manifestement pas la même analyse que les membres du comité de sélection, et ont fait part de leurs sentiments sur les réseaux sociaux.
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Romain Cannone.

Crédit: Imago

Amertume

Son coéquipier à Levallois-Perret Yannick Borel d'abord : "Les performances répétées d'Alexandre Bardenet et sa régularité au plus haut niveau mondial cette saison mais aussi plus globalement sur l'olympiade n'ont semble-t-il pas suffi à convaincre la commission", le champion olympique ensuite : "Nous avons fait toutes les rencontres par équipe pour la qualifier aux Jeux Olympiques de Paris. Malheureusement cette dernière se fera sans toi... Je compte bien la gagner pour toi avec mes coéquipiers." Finalement, l'épéiste s'est exprimé à son tour, jeudi : "Chaque année je me dis que la saison est la plus dure jamais vécue, néanmoins rien de comparable à l'année que j'ai passée où les coups bas étaient la norme".
Cette non-sélection est considérée par beaucoup d'observateurs comme une mesure de représailles de la fronde menée par le trio Cannone - Borel - Bardenet envers leur ancien manager Hugues Obry. Yannick Borel étant protégé par son statut de numéro un français, et Romain Cannone par son statut de champion olympique en titre, le seul à pouvoir payer les pots cassés était… Bardenet. Ce dont se défend Fabrice Jeannet, sélectionneur senior du comité de sélection, qui évoque la victoire de Luigi Midelton à l'épreuve de Coupe du monde de Vancouver. Manière d'oublier que ce n'est pas la présence du Guadeloupéen qui pose question mais plutôt celle de Paul Allègre, dont un podium à Heidenheim en Allemagne en février dernier constitue la seule apparition sur un podium international à titre individuel. Selon nos informations, Claude Onesta, manager de la haute performance, a été sensibilisé à la situation de l'épée masculine, sans que cela soit suivi de réaction pour le moment.
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Yannick Borel (France) en pleine discussion avec Hugues Obry lors du Challenge Monal, le 16 avril 2022.

Crédit: Imago

De l'instabilité malgré des résultats

Chez les sabreurs, l'officialisation de la liste a même provoqué l'intervention d'avocats dans le processus de désignation. A la suite d'un vice de procédure, le vote de la présidente par intérim qui s'était rangée aux vœux du manager du sabre masculin Alain Coicaud, a été invalidé. Désavoué par son DTN, Alain Coicaud - en poste depuis seulement un an, a présenté sa démission et le sabreur qu'il avait désigné en tant que remplaçant dans l'effectif français, Tom Seitz, est lui aussi passé par pertes et profits. C'est finalement Jean-Philippe Patrice qui occupera ce poste, associés aux titulaires Sebastien Patrice, Boladé Apithy et Maxime Pianfetti. Invitée sur le plateau de "Mon Paris Olympique" mercredi soir sur Eurosport, Manon Apithy-Brunet, l'épouse de Boladé Apithy, regrettait une situation invraisemblable : "On dirait que c'est trop compliqué de faire des choses simples, ou qu'on ne se concentre pas".
L'escrime française vit depuis plusieurs saisons dans un paradoxe absolu : à la valse des managers et aux luttes intestines répondent des résultats très solides. Cette saison, les tricolores ont ramené 4 victoires en Grand Prix et 14 succès en Coupe du monde, pour un total de 37 podiums sur l'ensemble des épreuves individuelles et par équipes. Les sélectionnés pour les Jeux vont avoir l'occasion de se jauger une dernière fois lors des Championnats d'Europe à Bâle, en Suisse, du 18 au 23 juin prochains. A peine un mois plus tard, ils seront face à l'enjeu le plus énorme de leur carrière en pénétrant dans le Grand Palais pour tenter de faire briller la discipline qui a rapporté le plus de médailles olympiques au sport tricolore. En dépit de tout.
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