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Les Grands Récits : Bobby Fischer - Boris Spassky, blockbuster sur 64 cases

Laurent Vergne

Mis à jour 24/09/2021 à 11:38 GMT+2

LES GRANDS RECITS – C'est le match le plus mythique de l'histoire. Celui qui a fait entrer le jeu d'échecs dans les foyers et donné à cette discipline une dimension unique. A l'été 1972, Boris Spassky le Soviétique et Bobby Fischer l'Américain ont tenu la planète en haleine en s'affrontant pour le titre mondial. La consécration du génie de Fischer, personnage torturé.

Bobby Fischer vs Boris Spassky (Visuel Quentin Guichard)

Crédit: Eurosport

"Bonsoir. Nous allons dans un instant développer les derniers évènements concernant l'affaire du Watergate, nous écouterons George McGovern parler du resserrement de son équipe de campagne et nous reviendrons sur la situation au Vietnam et sur les chiffres du chômage. Mais, d'abord, la grande information du jour, Bobby Fischer."
Vendredi 1er septembre 1972. John Chancellor, présentateur vedette du "Nightly News" sur NBC, amorce son journal par ces mots. La pourtant très dense actualité politique ne pèse soudain plus rien. Bobby Fischer vient d'être sacré champion du monde d'échecs après sept semaines d'une lutte déjà historique avec Boris Spassky à Reykjavik. Le temps d'un été, la capitale islandaise s'est muée en centre du monde et l'échiquier a eu valeur de métaphorique champ de bataille. Un symbole de la guerre froide.
L'exergue de John Chancellor se veut plus révélatrice qu'anecdotique. Les Etats-Unis se sont passionnés pour ce match et pour ce sport dont ils ignoraient tout. "Avant 1972, relevait en 2015 dans The Observer Andrew Soltis, envoyé spécial du New York Post en Islande, si vous sortiez un magazine ou un livre sur les échecs dans le métro à New York, on vous prenait pour un dingue. Mais pendant l'été 72, les gens essayaient de regarder par-dessus votre épaule pour le lire, eux aussi. Dans les bars, on a même vu fleurir des paris sur le prochain coup qui allait être joué."
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Bobby Fischer à l'heure du retour triomphal à New York.

Crédit: Imago

Tout le monde aurait pouffé devant une telle affirmation quelques années plus tôt, mais le Championnat du monde 1972 va incarner un des plus grands évènements sportifs de la décennie, générant un intérêt planétaire. C'est Ali-Frazier sur échiquier. Les Jeux Olympiques de l'intelligence. L'effet Bobby Fischer, surtout. Figure énigmatique, complexe, fascinante et dérangeante, le New-Yorkais a donné une dimension inédite au jeu d'échecs.
Harold C. Schonberg, qui avait lui couvert le duel Spassky-Fischer à Reykjavik pour le New York Times, le résumera ainsi dans son livre Grandmasters of Chess : "C'est lui et presque lui seul qui a fait prendre conscience au monde entier que les échecs, pratiqués à ce niveau, étaient aussi passionnants que n'importe quel autre sport. Aussi excitants qu'un combat à mort, aussi esthétiquement satisfaisants qu'une œuvre d'art, aussi intellectuellement exigeants que n'importe quelle activité humaine." Pourquoi Bobby Fischer a-t-il exercé une telle fascination ? Peut-être parce que chacun percevait son génie sans pouvoir l'appréhender.

"Si je lui retire les pièces, il continue de jouer dans sa tête"

Né en 1943 à Chicago, il déménage à New York avec sa mère, Regina, et sa sœur, Joan, à l'âge de 6 ans. C'est là, à Brooklyn, qu'il découvre les échecs. D'emblée, plus qu'un loisir, davantage qu'une passion : une obsession. La controversée théorie des 10 000 heures, établie par K.Anders Ericsson et popularisée par le journaliste Malcolm Gladwell, prétend que 10 000 heures de pratique intensive d'une discipline permet de transformer un néophyte en un des plus grands spécialistes au monde.
Si quelqu'un peut lui donner du sens, c'est Fischer. Il vit, pense et rêve sur un échiquier. Quand il prend ses repas, c'est toujours le nez au-dessus de 64 cases ou d'un livre consacré aux échecs. Etude des anciennes parties, entraînement, compétition, le jeune Bobby n'entrevoit l'existence que par ce prisme à damiers. Au désespoir de sa mère. Inquiète, elle l'emmènera même voir un psychiatre. "Si je lui retire les pièces, il continue de jouer dans sa tête", se lamente-t-elle.
"Les échecs et moi ne faisons qu'un. Je consacre 98% de mon énergie mentale aux échecs. Les autres ont droit aux 2% qui restent", confiait l'intéressé en 1972. Une auto-analyse confirmée plus tard par son biographe, Frank Brady : "L'évolution échiquéenne de Bobby alla bien au-delà de l'obsession. Il semble qu'il se soit produit une véritable fusion entre ses besoins les plus profonds et sa maîtrise du jeu. Il étudiait les échecs avec une ferveur religieuse. Le jeu devint sa discipline, son but et son pouvoir."
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Le jeune Bobby Fischer à 13 ans.

Crédit: Getty Images

Pourtant, si l'histoire imposera a posteriori cet esprit hors normes comme un surdoué ayant tout dévasté sur son passage dès sa plus tendre enfance, à l'âge de 13 ans, rien n'indiquait encore qu'il deviendrait l'un des plus grands maîtres de tous les temps. Il est alors un très bon joueur, un petit prodige des clubs de Brooklyn même, mais son avenir de futur champion du monde n'a rien de tout tracé.
Anthony Saidi est à l'époque un des meilleurs amis de Fischer et le restera. De six ans son aîné, il a raconté en 2011 dans le documentaire Bobby Fischer against the world comment son cadet a brutalement explosé. "Jusqu'à ses 13 ans, nous étions à peu près du même niveau. Puis, d'un seul coup, il est devenu inabordable", dit-il. Tout bascule en quelques mois.

Fischer - Byrne, déjà le match du siècle

1956. Fischer s'impose comme le plus jeune champion des Etats-Unis juniors de l'histoire, un succès qui lui vaut une invitation à New York au Trophée Rosenwald, le plus grand tournoi du pays. Le prometteur gamin se frotte aux meilleurs adultes américains sur l'échiquier. Sa performance globale, jalonnée de hauts et de bas, n'a rien d'extraordinaire. Bobby doit encore apprendre à gérer le contexte. Les salles bruyantes, la psychologie si variée d'adversaires qu'il découvre, la fatigue née de l'enchaînement des rencontres. Il achève le tournoi à la 8e place. Mais une partie, une seule, va retenir l'attention. Bientôt, elle sera connue sous le nom de "Match du siècle".
Le 17 octobre 1956, Fischer affronte Donald Byrne, sacré champion des Etats-Unis trois ans auparavant. Un vrai show pyrotechnique, à bases de géniales audaces, de sacrifices improbables et de stratégie aventureuse. Personne n'a jamais vu cela, surtout pas de la part d'un enfant de 13 ans. Ce dernier, avec les noirs, multiplie les prises d'initiatives, jusqu'au sacrifice de sa dame au 17e coup. Un risque démesuré. Mais Fischer a tout anticipé. Quelques coups plus tard, il a récupéré en compensation deux fous, une tour et un pion. Au sortir de cette infernale passe d'armes, sa position est meilleure que celle de Byrne. Il a le contrôle du centre de l'échiquier et finit par s'imposer sur un mat d'école.
L'ingéniosité et l'agressivité dont Bobby Fischer a fait preuve le placent spontanément dans une catégorie à part. Cette partie sera une des plus disséquées de tous les temps. L'adolescent, lui, s'étonne que l'on s'étonne : "J'ai juste joué les coups qui me semblaient être les meilleurs." L'écho du duel Fischer-Byrne arrive jusqu'aux oreilles du grand maître soviétique, Mihail Botvinnik, le champion du monde en titre. "Je crois qu'il va falloir garder un œil sur ce garçon", souffle-t-il. Et même deux. En janvier 1958, deux mois avant son 15e anniversaire, il remporte le titre de champion des Etats-Unis. La même année, il gagne le statut de Grand maître international. Le plus jeune de l'histoire. La légende est en marche.
L'Amérique découvre ce phénomène que l'on invite même à la télévision. Un peu dégingandé, un peu mal fagoté avec ses gros pulls en laine, on le regarde comme un animal de foire. Un petit singe savant fascinant, certes, mais un poil excentrique. Sa notoriété trop précoce va contribuer à refermer sur lui-même cet adolescent déjà timide. Au fond, personne ne le comprend. Le solitaire s'enfonce dans une solitude dont il ne s'extraira jamais. Bobby Fischer vit dans son monde. L'enfer, c'est les autres. Y compris les proches.

Quand Barbra Streisand flashe sur Bobby

Le prodige s'éloigne, au sens premier du terme, de sa mère dès l'adolescence. Cette femme brillante, à qui Bobby a tant pris, s'exile en Europe au tout début des années 60. Elle ne reverra pas son fils pendant douze ans.
Les liens s'étaient distendus quelques années plus tôt lorsque Bobby avait appris que Gerhard Fischer, l'ex-mari de sa mère, que Regina avait rencontré en Allemagne dans les années 30, n'était pas son père. Il était né de la brève relation de Regina avec Paul Nemenyi, un physicien hongrois ayant émigré comme elle aux Etats-Unis au déclenchement de la guerre. Fischer ne s'est jamais épanché sur cette mémoire personnelle complexe. Mais en 1971, interviewé sur CBS à propos de ses liens familiaux, il se montrait morose et évasif. "Mon père ? Je ne l'ai jamais vu. Ma mère ? Je n'ai pas de nouvelles depuis des années."
Son rapport au reste de l'humanité n'est guère plus simple. Au lycée, il s'ennuie ferme. "L'école est un lieu peuplé de gens stupides, qu'il s'agisse des élèves ou des professeurs", dit-il. Avec son QI de 180, Fischer est un inadapté, oscillant entre complexe de supériorité (il se sait plus intelligent que la quasi-totalité de ses congénères) et d'infériorité (il se sent incapable de cohabiter avec le monde extérieur). Il attire pourtant l'attention d'une fille à l'Erasmus Hall High School de Brooklyn. Avec son regard un peu de travers, elle est au moins aussi bouffée par les complexes que lui. Elle s'appelle Barbra Streisand. Ces deux grands solitaires déjeunent ensemble presque tous les jours, comme l'a raconté la future "Funny Girl" de William Wyler en 1977 dans une interview accordée à Playboy :
Il était un peu plus jeune que moi, mais on ne se quittait pas le midi. Il s'asseyait, et partait dans des grands éclats de rire en lisant Mad Magazine (un journal satirique très en vogue dans les années 50, NDLR). Bobby était très solitaire, un peu particulier, bizarre même, mais je le trouvais très sexy. Est-ce qu'il avait déjà l'air d'un génie ? Oui, je le crois. Un fou génial.

Fischer le parano

A 16 ans, Fischer arrête l'école. A 18, il vit seul dans son appartement de Brooklyn infesté de cafards après les départs de sa mère puis de sa sœur ainée, qui vient de se marier. Son univers se rétrécit toujours plus autour des échecs. Au début des années 60, selon ses dires, il s'y adonne d'une manière ou d'une autre 14 heures par jour. "Si vous alliez diner avec Bobby dans les 60's, a raconté en 2002 au Washington Post son ancien camarade Don Schultz, il n'était pas capable de suivre la conversation. Il finissait par sortir son petit jeu de poche et se mettait à jouer aux échecs sur la table. Il avait une vue unidimensionnelle de l'existence."
Mais cette décennie sera celle de tous les errements, non de la conquête du pouvoir. Dès 1959, ayant troqué ses pulls difformes pour des costumes, il se lance pourtant en chasse du titre mondial. Malgré son très jeune âge, Fischer signe ses premières victoires internationales et termine 5e du tournoi des candidats. Trois ans plus tard, à 19 ans, on le croit prêt mais il se contente de la 4e place. Il dénonce la collusion entre les trois premiers, Tigran Petrossian, Efim Geller et Viktor Kortchnoi. Trois Soviétiques, que Fischer accuse de s'être arrangés au fil des parties pour lui barrer la route.
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1959 : Bobby Fischer, 16 ans et déjà grand maître international, se lance pour la première fois dans la jungle des éliminatoires pour le Championnat du monde.

Crédit: Getty Images

A l'été 1962, dans un article au vitriol publié dans Sports Illustrated, titré "Les Russes ont truqué le Championnat du monde", il réitère ses propos : "Les Russes ont tout fait pour me barrer la route, leurs méthodes sont des méthodes de lâches." Puis il se retire du circuit pendant deux ans, avant une nouvelle coupure entre 1968 et 1970.
Sur les parties nulles arrangées, Fischer n'a pas tout à fait tort. Mais personne ne l'écoute vraiment, tant sa paranoïa est de notoriété publique. Elle transpire dans toutes ses interviews, sur les sujets les plus dérisoires comme les plus sérieux. "Je ne regarde pas la télévision, elle émet des radiations. Les scientifiques le savent, des amis me l'ont confirmé", assure-t-il ainsi à la... télévision en 1966.
"Je pense que le gouvernement nous cache des choses", est une de ses phrases les plus récurrentes. Dans le domaine du complotisme aussi, Fischer dispose d'un temps d'avance sur son époque. Malgré son comportement erratique et ses déceptions sur l'échiquier, le génie de Brooklyn, médiatiquement plus "bankable" que jamais, peaufine son statut de figure culte dans son pays. Alors, quand il se relance dans la course au titre de champion du monde en 1970, toute l'Amérique l'attend au tournant.
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Bobby Fischer en 1962.

Crédit: Getty Images

20 victoires de suite, du jamais vu

Pour gagner le droit de défier le tenant du titre Boris Spassky, Fischer doit à nouveau passer par le tournoi interzonal, puis le tournoi des candidats. Un marathon de dix-huit mois. Là, Fischer se déchaîne. Plus offensif et créatif que jamais à l'approche de la trentaine, il lamine la concurrence. L'Américain y aligne vingt victoires, soit la plus longue série de parties sans défaite ni nul dans l'histoire des échecs face à des grands maîtres internationaux. Wolfgang Uhlmann fut une de ses victimes à Majorque au cours de l'interzonal. L'Allemand de l'Est avoue ne jamais avoir ressenti une telle impuissance devant un échiquier : "C'était à peine croyable de voir la façon dont il nous dominait. Il se dégageait de son jeu une vitalité phénoménale. J'étais comme hypnotisé."
Lors du tournoi des candidats, Fischer écrase Taimanov (6-0), Larsen (6-0) puis Petrosian en finale (6-2,5). Cette fois, il y est, prêt à défier Spassky, dans un duel au meilleur des vingt-quatre parties. Jamais une confrontation n'a autant aiguisé les intérêts et les appétits. Qui plus est en pleine guerre froide. De la Baie des Cochons à l'espace, Américains et Soviétiques se livrent une lutte d'influence sur le plan politique, sportif, culturel ou technologique.
Fischer et Spassky offrent une nouvelle déclinaison de cette glaciale rivalité, l'enjeu se teintant d'une couleur différente en déportant cette lutte sur le plan intellectuel. "Pour le régime communiste, explique Gary Kasparov dans Bobby Fischer against the world, le titre de champion du monde des échecs avait une importance idéologique particulière. La domination soviétique était utilisée par le pouvoir comme une preuve de la supériorité intellectuelle sur l'Occident décadent." Fischer, à ce titre, est perçu comme une menace.
L'affrontement de ces deux grands maîtres se double donc de celui entre deux pays, deux systèmes, deux mondes. Y compris dans l'approche de cette discipline. Fischer est un self-made man, Spassky l'énième produit de la formidable fabrique à champions qu'est l'URSS. Le champion du monde est issu de l'école soviétique sans discontinuer depuis 1948. Spassky a pris le relais de Botvinnik, Smyslov, Tal et Petrossian. A 35 ans, il est l'anti-Fischer. Calme, posé, affable, le natif de Leningrad est un véritable gentleman. Sa courtoisie creusera d'ailleurs sa tombe à Reykjavik.
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Boris Spassky en 1971.

Crédit: Getty Images

Bobby Fischer existe-t-il vraiment ?

Reste à régler les détails contractuels et organisationnels. Pas une sinécure. Mettre d'accord Américains et Soviétiques ferait passer un compromis dans l'actuelle Union européenne à 27 pour une enfantine équation. Les discussions portent à la fois sur les gains financiers pour les deux maîtres, dont une partie de droits télévisuels, le lieu de la rencontre et les détails dans la salle en elle-même : combien de personnes autorisées ? Quel public ? Combien de caméras ? A quelle distance ? Quelle hauteur pour les fauteuils ? Et ainsi de suite. Les négociations s'étalent sur des mois. Finalement, le choc est fixé à l'été 1972, à Reykjavik. La capitale islandaise a supplanté Belgrade et Buenos Aires, les deux favorites initiales.
Mais Fischer reste Fischer. Plus incohérent que jamais, il multiplie jusqu'au dernier moment les demandes contradictoires, se plaint de tout, de rien, et menace la tenue de la rencontre. Les semaines précédant le blockbuster sur 64 cases virent au thriller psychologique à la fois paranoïaque et géopolitique. Gudmundur Thorarinsson est à la tête de l'organisation. Nuits blanches garanties.
Le 3 juillet, on lui demande lors d'une conférence de presse très second degré s'il est inquiet. La veille, le championnat du monde aurait dû commencer. Thorarinsson sourit, lève les yeux au ciel, réfléchit. Son "non" en guise de réponse déclenche l'hilarité. "Avez-vous déjà vu monsieur Fischer, êtes-vous bien sûr qu'il existe vraiment ?", interroge ensuite un journaliste américain. "Oui, messieurs, je crois que nous pouvons nous mettre d'accord pour dire que monsieur Bobby Fischer existe vraiment."
Lorsque Boris Spassky pose le pied sur le sol islandais le 21 juin, Fischer se terre en Californie. Son ami Anthony Saidi parvient à le ramener avec lui à New York. Une façon de le rapprocher de Reykjavik. Il l'installe dans la grande maison familiale, à Douglaston, en banlieue. Saidi tient à être auprès de son père, malade. Les médias campent devant sa maison. Fischer leur adresse des doigts d'honneur depuis la fenêtre de la chambre où il dort, à l'étage. Pour le convaincre de partir pour Reykjavik, Saidi joue sur la corde sensible. "Tu sais, mon père est très fatigué, on ne peut pas rester trop longtemps ici. Il va peut-être bientôt mourir." La réponse de son ami le sidère : "Oh, ça ne me dérange pas."
Le jeudi 27 juin, à J-3, Fischer se résout à décoller pour l'Islande. Saidi le conduit jusqu'à l'aéroport Kennedy. Devant le comptoir, pendant que Saidi se charge de régler l'enregistrement, le grand maître aperçoit un paparazzi. Il se met à sprinter vers la sortie, grimpe dans un taxi.
Pendant ce temps, en Islande, on s'impatiente. La délégation soviétique, surtout. Spassky ne cache pas son inquiétude à Thorarinsson : "C'est sérieux, Moscou veut me faire rentrer. Ils sont furieux." La fédération russe, sur l'insistance de Spassky, accepte d'accorder un ultime délai. Mais si Fischer n'est pas à Reykjavik le 4 juillet, il sera définitivement disqualifié.

"Je l'ai appelé et lui ai dit de bouger son cul jusqu'en Islande"

Entrent alors en scène les hautes sphères de la politique internationale, comme une preuve de l'enjeu de l'évènement. Gudmundur Thorarinsson demande au Premier ministre islandais d'intervenir auprès du gouvernement américain. Contacté directement, le président Richard Nixon impose à Henry Kissinger, son conseiller à la sécurité nationale, d'intercéder auprès de Fischer. Sur ce point, difficile de distinguer la légende de la réalité. "Je l'ai appelé et, en gros, lui ai dit de bouger son cul jusqu'en Islande", dira Kissinger. D'autres sources assurent que Fischer lui aurait répondu qu'il avait une partie à finir, voire qu'il n'aurait jamais pris l'appel.
Une chose est sûre : le 1er juillet, il donne une interview à la télévision depuis la maison des parents de Saidi pour annoncer son imminent départ. "Le prestige de notre pays est en jeu", clame-t-il. Des mots qui tendent à confirmer que l'intervention de Kissinger a porté ses fruits. A moins que la motivation du fuyant New-Yorkais ne fût plus prosaïque.
Le même jour, un millionnaire britannique, impliqué dans l'organisation du duel contre Spassky, a accepté de poser sur la table une rallonge de 130 000 dollars rien que pour Fischer. Or ce dernier a toujours aimé l'argent. Non pour le dépenser, il n'en fait rien, ou presque, mais parce qu'il est à ses yeux un témoignage de sa grandeur et de son pouvoir. A Reykjavik, les femmes de ménage trouveront chaque matin des liasses de billet répandues un peu partout dans sa chambre.
Le mardi 4 juillet, jour ô combien symbolique, Bobby Fischer débarque enfin en Islande, ce pays dont, avec un sens certain de l'emphase, le New York Times écrit qu'il vit son "évènement le plus important depuis l'arrivée d'Erik le Rouge un millénaire et deux ans plus tôt".
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Bobby Fischer arrive enfin en Islande. Il va filer directement dans une voiture sans s'occuper de la cérémonie organisée sur le tarmac en son honneur.

Crédit: Getty Images

En direct à Times Square

Le 11 juillet, jour du premier match, tout le gouvernement islandais est présent dans la salle, ainsi que les ambassadeurs américain et soviétique. Aux Etats-Unis, on se croirait un jour de Super Bowl. A New York, Times Square diffuse la rencontre en direct et en intégralité sur un écran géant. Les gens se massent devant les magasins de télés. D'autres posent des journées de congés pour ne rien rater. La chaîne publique PBS a tenté un pari un peu dingue : diffuser en direct et en intégralité chaque match de la confrontation entre Fischer et Spassky.
Depuis un petit studio basé à Albany, Shelby Lyman, excellent joueur d'échecs, décrypte chaque mouvement. Entre deux coups (parfois une attente d'une demi-heure), il répond à des questions de téléspectateurs. Avec une inimitable absence de style, Lyman, qui n'avait jamais vu une caméra de sa vie, devient une star et le show un succès national. Cela reste, aujourd'hui encore, la plus forte audience de l'histoire de la télévision américaine pour une chaîne publique. Ces dizaines d’heures d'antenne ont apporté à Lyman la célébrité, mais pas la fortune. Il n'était même pas payé.
Même les plus sceptiques découvrent l'intensité et l'essence de ce spectacle unique constitué de deux personnes assises face à face autour d'une petite table devant des petites pièces en bois. Le fameux dessinateur Leroy Neiman a été dépêché sur place par ABC afin de réaliser des portraits susceptibles d'être utilisés pendant les émissions consacrées au match. Parti en traînant les pieds, il rentrera au pays enthousiasmé : "J'étais convaincu qu'assister à des parties d'échecs serait aussi passionnant que de regarder l'herbe pousser. Mais au fur et à mesure, j'ai été captivé. Quel spectacle ! J'avais l'impression d'être devant Ali et Frazier."

L'énorme bourde de Fischer

Mais ce mardi 11 juillet, seul Frazier, ou seul Ali, au choix, est présent. Boris Spassky s'est installé à sa place. Ayant hérité des blancs, il a poussé son premier pion. En face de lui, une chaise vide. Bobby Fischer n'est pas là. Personne ne sait où il se trouve. Il a une heure pour arriver. Les minutes passent. Spassky, visiblement nerveux et agacé, se lève et se rassoit. Fischer finit par débouler dans la salle, comme sorti d'on ne sait où. Il prend place et joue son tout premier coup de ce championnat du monde : cavalier en F6. Après des mois de négociations, des semaines d'attente, de polémiques, de doutes et de caprices, le choc Spassky - Fischer passe du fantasme à la réalité.
Pas la fin des discussions pour autant. L'Américain n'a pas joué depuis cinq secondes qu'il s'est retourné vers une caméra, trop bruyante à son goût. Fischer se lève aussitôt en direction de Lothar Schmidt, l'arbitre. "Je ne supporte pas ces caméras, elles me dérangent".
Il devra tout de même s'en accommoder dans cette première partie. Après 28 coups et de multiples échanges de pièces, les deux joueurs disposent encore de six pions et un fou chacun. Le jeu est bloqué, le nul parait inévitable. Fischer commet alors une erreur que tous les spécialistes qualifient de "débutant". Il prend un pion à Spassky mais condamne à terme son fou.
Parce qu'il est Bobby Fischer, sur l'instant, tout le monde se demande s'il ne s'agit pas d'une géniale manœuvre dont lui seul comprend la portée. Mais non. Il est juste tombé dans un énorme panneau. Son fameux complexe de supériorité ? Un coup de fatigue ? Ou, peut-être, le naturel revenant au triple galop. "Il faut savoir que Fischer détestait les nuls, explique Kevin Butler, analyste sur The Chess Website. Il n'était pas le genre de joueur à se dire 'OK, on a joué une vingtaine de coups, la situation est très équilibrée, serrons-nous la main et restons-en là'. Il jouait pour la gagne, le plus longtemps possible."

Spassky, trop bon, trop... ?

Sur la forme, cette défaite de Fischer interpelle. Sur le fond, elle vient rappeler qu'en six matches contre Spassky, il n'a toujours pas gagné une seule fois. Après cet échec initial, l'Américain formule de nouvelles exigences : ni public ni caméras. Gudmundur Thorarinsson n'en revient pas. "Non, ça n'arrivera pas, Bobby. L'argent que tu gagnes, c'est parce qu'il y a des caméras, parce des gens regardent, et que d'autres gens paient des droits pour avoir ces images et les montrer."
Fischer veut le beurre et l'argent du beurre. Faute d'obtenir ce qu'il voulait, il ne se présente pas pour la 2e partie. Spassky l'emporte donc par forfait et mène 2-0. Un avantage considérable dans un Championnat du monde. D'autant que Spassky, en tant que tenant du titre, n'a besoin que de douze points. En cas d'égalité au terme des vingt-quatre parties, il conserverait sa couronne.
Pour beaucoup, c'est terminé. Bobby Fischer va quitter l'Islande et le match du siècle va s'achever sur un gigantesque "pschitt". Le fiasco du siècle, plutôt. Mais puisqu'il refuse de continuer à jouer dans les conditions initialement prévues, et que l'organisation ne souhaite les modifier, Fischer se trouve dans une impasse. A moins de pouvoir convaincre son adversaire de changer les règles en cours de route. Sans l'accord des deux protagonistes, c'est impossible. Il demande au champion du monde s'il accepterait de poursuivre les débats dans une plus petite salle du Palais des sports, sans le moindre public, avec pour seule source d'images une caméra de surveillance. Et Spassky va dire oui, malgré les ordres de la délégation soviétique.
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Bobby Fischer

Crédit: Imago

En 2017, pour ses 80 ans, le grand maître est revenu sur ce moment décisif dans un grand entretien au journal russe Sport-Express. "J'ai résisté parce que je voulais jouer, tout simplement, évoquait-il alors. Avec le recul, j'ai compris que j'avais commis une erreur. Je devais laisser Fischer s'enfermer dans sa logique. Imaginez deux boxeurs. Si l'un dit 'j'abandonne,', l'autre gagne, c'est tout. Mais j'ai refusé de gagner comme cela." Trop bon, trop...
Au fond, Spassky a été autant victime de sa gentillesse et de sa loyauté vis-à-vis du jeu que de son empathie pour Fischer : "J'aimais bien Bobby. Je n'étais pas comme Korchnoi, qui avait besoin de haïr ses adversaires pour mieux jouer. Je crois que j'ai eu un peu pitié de lui. Comment pouvais-je détester ce gamin en face de moi ?"

A la vie, à la mort

Ils seront nombreux à considérer que Spassky a creusé sa propre tombe en cédant au chantage psychologique de son jeune rival. Ce dernier a-t-il tout manigancé depuis le début pour placer Spassky sous pression et jouer avec ses nerfs ? Pour Anthony Saidi, Fischer n'était pas si machiavélique : "C'est vrai que cela a contribué à rendre Boris plus nerveux. Mais Bobby était juste sincèrement gêné par le bruit, auquel il était hypersensible."
Lors de la partie N°3, Spassky et Fischer se retrouvent donc dans une annexe de la grande salle habituellement dédiée au... ping-pong. Le New-Yorkais inspecte la caméra, continue de râler, lance un "ferme à ta gueule" à Lothar Schmidt, provoquant la colère de Spassky. Puis il finit par s'asseoir. Cette fois, il ne sera plus question que de jeu.
Fischer choisit pour ouverture une défense Benoni. Stratégie risquée, qu'il n'a jamais utilisée face à un adversaire de cette envergure. Parce qu'elle ouvre le jeu, la défense Benoni ne débouche que très rarement sur des parties nulles. C'est tout ou rien. Tel est le message envoyé au champion du monde : maintenant, c'est à la vie, à la mort.
Spassky est pris au dépourvu. Il n'avait pas travaillé cette ouverture, convaincu que Fischer ne l'emploierait pas. Déstabilisé, nerveux, il subit et s'incline. Pour la première fois, Bobby Fischer l'a battu. "Ce fut le tournant, admettra-t-il en 2017. Après cela, Fischer a pris confiance. Il a su qu'il avait de bonnes chances de gagner." L'audace du maître américain a encore payé.

Le chef d'œuvre de la 6e partie

Les certitudes ont changé de camp. La parano aussi. Lors des parties suivantes, Spassky se plaint de radiations. "Je n'étais pas dans mon état normal, assurera-t-il. Je ne suis pas suspicieux, mais là, je le suis devenu." Les Soviétiques feront inspecter son fauteuil, le plafond, le sol. Pour ne trouver que deux mouches mortes.
Après cinq parties, le challenger a comblé son débours initial : Deux et demi partout. Le 6e acte, celui qui va définitivement faire basculer ce Championnat du monde, demeure le plus célèbre et le plus étudié. Bobby Fischer, avec les blancs, ouvre avec son pion en C4. Une entame très inhabituelle chez lui. Toute cette partie le sera. Loin de son agressivité naturelle, il développe un jeu de position finement élaboré. Prenant tout son temps pour imposer sa maestria, le matador de Brooklyn a choisi d'infliger une mort lente. C'est un chef-d'œuvre. Peut-être sa plus belle victoire.
Dans la grande salle, le public, devant l'écran géant, l'applaudit à l'issue du combat. Plus remarquable encore, Spassky en fait de même. Fischer prend l'avantage au score et ne le lâchera plus. En réalité, Spassky ne remportera plus qu'une seule manche, la 11e. Après une série de sept nuls, le Soviétique se retrouve en grande difficulté lors de la 21e partie. Lorsque celle-ci est ajournée au lendemain, Spassky téléphone à Fischer pour lui annoncer qu'il abandonne. 12,5 - 8,5. Bobby Fischer devient champion du monde. La fin d'une époque. Une page d'histoire.
Bobby Fischer a imposé son jeu, son génie, mais aussi son aura. C'est d'abord elle qui a soufflé les convictions d'un Spassky méconnaissable. Les propos de son compatriote Mark Taimanov, pulvérisé quelques mois plus tôt lors du tournoi des candidats, rejaillissent alors : "J'ai commis des erreurs que je ne faisais plus depuis l'enfance. Son aura est difficile à définir mais elle est là, palpable, et finit par vous écraser. Puis il a l'instinct du tueur. Fischer ne joue pas seulement pour gagner, mais pour détruire votre esprit. Et il y parvient."

Spassky s'en relèvera, Fischer sombrera

Au sommet de sa gloire et de sa richesse, Fischer dit vouloir régner "pendant vingt ans". On a tout pardonné à son génie, jusqu'à ses caprices quotidiens dans son hôtel de Reykjavik. Avoir la piscine pour lui tout seul. Faire fabriquer jusqu'à dix échiquiers aux artisans locaux pour son entraînement pour n'en retenir aucun. Avoir une Mercedes, neuve et à boîte automatique, pour se rendre au Palais des sports. Et ainsi de suite. Il est même allé jusqu'à demander qu'on fasse taire les oiseaux. Peut-être la seule requête à laquelle personne n'a pu accéder. Bobby Fischer a déjà commencé à perdre contact avec la réalité. La nôtre, en tout cas, celle du commun des mortels. Dans son monde à lui, ce qui nous apparait extravagant a valeur de norme.
Champion déchu, Boris Spassky sombre dans la dépression à son retour à Moscou. Le KGB le persécute et ses sorties du pays sont limitées pendant des mois. Des rumeurs de toutes sortes gisent à son sujet. Son couple explose. "Paradoxalement, j'étais un homme très riche, un millionnaire selon les standards russes, avec la somme touchée à Reykjavik. Mais ce fut une période très difficile", avouera-t-il au New York Times en 1985. Mais Spassky se relèvera, regagnera confiance sur l'échiquier et en dehors. Il épouse en 1976 une diplomate française et s'installe à Paris. Fischer, lui, va sombrer. Plus jamais il ne disputera une rencontre officielle.
Pendant les trois années de son règne, la superstar refuse toutes les offres, même les plus mirobolantes. Un livre. Des disques. La télévision. Le cinéma. Une revanche-exhibition contre Spassky à Las Vegas pour un million de dollars. Et même une partie à Kinshasa contre la dernière merveille soviétique, Anatoli Karpov. Mobutu rêvait d'organiser le Ali-Foreman des échecs. En 1975, incapable de trouver un accord avec Karpov, son challenger, Fischer refuse de défendre son titre et perd sa couronne.
La retraite du maître s'accompagne de la réclusion de l'homme, qui s'éloigne peu à peu de ses rares amis et de la société qui l'entoure. Il cesse de jouer, de travailler, de se raser. Sa fortune s'assèche au fil des ans. Plus paranoïaque que jamais, il ne se déplace jamais sans une valise remplie d'antidotes contre divers poisons.
Bobby Fischer ne réapparaîtra qu'une seule fois sur la scène internationale pour un match-revanche face à Boris Spassky, en 1992, au 20e anniversaire de leur mythique duel. Une nouvelle victoire de l'Américain, sans la même saveur ni le même intérêt, qui lui rapportera trois millions de dollars. Mais cette rencontre, organisée sur une île au large du Monténégro puis à Belgrade, a contrevenu à l'embargo international en pleine guerre dans l'ex-Yougoslavie. Fischer est alors interdit de territoire aux Etats-Unis et se voit contraint de mener une vie d'exilé.
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1992 : Les retrouvailles, abusivement qualmifiées de "Championnat du monde". Spassky n'est pourtant plus que 101e au classement mondial. Fischer n'y apparait plus.

Crédit: Getty Images

Mourir en Islande

L'âge n'apaise pas ses tourments. Gangréné par la parano, le complotisme et ses haines en tous genres, Fischer se noie dans l'abime. Son antisémitisme atteint des hauteurs effrayantes. Il ne date pas d'hier. Dès 1961, l'Américain affirmait dans une interview qu'il y avait "beaucoup trop de juifs dans le monde des échecs". Juif, il l'était pourtant lui-même, par sa mère et via son père naturel, même s'il l'ignorait à l'époque. Le 11 septembre 2001, depuis les Philippines où s'est réfugié, il livre une diatribe hallucinée et hallucinante sur une radio de Manille :
C'est une merveilleuse nouvelle. Il est temps que ces putains de juifs se fassent pulvériser la tête. Il faut en finir avec les Etats-Unis. Une fois pour toutes. Je le dis : 'Mort aux Etats- Unis !' Que les Etats-Unis aillent se faire foutre. Que les juifs aillent se faire foutre. Ce sont des criminels, des menteurs, des fumiers. On récolte ce qu'on sème. Ils ont tous eu ce qu'ils méritaient. C'est un grand jour.
Il perd là ses derniers rares soutiens dans son ancien pays. Plus seul que jamais (sa mère est morte en 1997 et surtout sa sœur, d'un infarctus, l'année suivante), Fischer se voit priver de son passeport américain en 2004 et se fait arrêter à l'aéroport de Tokyo en essayant de quitter le Japon sans papiers valides. Il reste neuf mois en prison en attendant son extradition aux Etats-Unis, désireux de lui régler son compte pour fraude fiscale. Un prétexte à la Capone. Son mariage avec Miyoko Watai, la présidente de la fédération nippone d'échecs, lui sauvera la mise en annulant la procédure. Une vie de roman...
D'une curieuse manière, Bobby Fischer va renouer avec sa propre légende en demandant l'asile politique en Islande. Là-bas, il est resté un dieu. Reykjavik le lui accorde en février 2005 et lui donne même la nationalité islandaise. Accueilli en héros, l'ancien champion du monde apparaît méconnaissable à sa descente de l'avion. Amaigri, nanti d'une barbe de Père Noël, il a perdu de sa superbe. Au moins est-il protégé. Souffrant d'insuffisance rénale, il refuse de se faire soigner. Sa paranoïa s'étendait jusqu'au domaine médicale.
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Bobby Fischer, vieilli, à son arrivée en Islande en 2005. Il y finira sa vie.

Crédit: Imago

Bobby Fischer est mort le 17 janvier 2008. A 64 ans. 64, comme le nombre de cases de l'échiquier. Jusqu'au bout, Spassky sera resté un de ses rares contacts avec la civilisation. Ils n'étaient pas amis, mais unis par un lien particulier. Fischer, qui avait planifié jusqu'à son enterrement, n'avait "invité" que trois anciens joueurs, dont Spassky, mais celui-ci ne pourra pas s'y rendre. "Je crois que je le comprenais, jugeait en 2017 sa victime de Reykjavik. Je l'ai rencontré pour la première fois quand il avait 15 ans. Il portait déjà un destin tragique sur lui. Je pense l'avoir très vite ressenti."
Un jour, Spassky lui a demandé pourquoi il l'aimait bien, lui, l'ennemi soviétique, alors que Fischer haïssait les communistes presque autant que les juifs. "Il n'a pas répondu, dit Spassky. C'était un homme seul, plein de paradoxes." Leur toute dernière conversation téléphonique, peu avant la mort de Fischer, portait sur l'ouverture la plus solide : e2-e4 ou d2-d4. Et Spassky d'avouer : "Parfois, je le vois encore dans mes rêves."
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Bobby Fischer et son univers.

Crédit: Getty Images

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