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Tour de France 2024 | 2e étape | Marco Pantani, mythe complexe mais vivace

Laurent Vergne

Mis à jour 30/06/2024 à 09:52 GMT+2

20 ans après sa disparition à l'âge de 34 ans, Marco Pantani est célébré ce week-end, de Rimini à Cesenatico, lors du Grand Départ du Tour de France. Que reste-t-il du grimpeur italien, dernier coureur à avoir réussi le doublé Giro – Tour ? Une forme de mythologie, un air de grand pardon et un pouvoir de fascination inégalable. Comme si la controverse et les excès n'impactaient pas sa mémoire.

Marco Pantani.

Crédit: Getty Images

L'ombre de Marco Pantani va planer sur ce Tour de France. Elle avait déjà enveloppé le dernier Giro, passé par Cesena et les pentes d'Oropa. Mais avec ce Grande Départ en Italie de la Grande Boucle, l'heure Pantani sonne à nouveau. Entre l'arrivée samedi soir à Rimini, là où Pantani a quitté ce monde le jour d'une mortelle Saint-Valentin, et qui s'élance ce dimanche de Cesenatico, la ville où il a grandi et où se trouve sa sépulture, nous voilà entre hommage et pèlerinage. Sans oublier ce mythique doublé Giro-Tour, auquel s'attaque Tadej Pogacar et que personne n'a plus accompli depuis le Pirate aux oreilles décollées.
Pantani, ce sont sept lettres figées dans la légende de son sport. De la montagne, surtout. Comme Bahamontès. Des noms qui sentent la pente, qui résonnent des parois enserrées de glace du Stelvio de celles, brûlantes, de l'Alpe d'Huez. Et de tant d'autres. Dans sa vie et dans sa mort, Pantani a forgé son mythe, bien vivace deux décennies après sa disparition, et nous laisse une histoire complexe, ambivalente, entre fascination pour ce qu'il était, et répulsion pour une époque dont beaucoup refusent qu'il en soit une des incarnations. Et pourtant.
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Marco Pantani lors du Tour de France 2000

Crédit: Getty Images

La carrière de l'Italien a largement épousé celle de l'ère EPO, arrivée dans la première moitié des années 90, comme lui, avant de connaître une forme d'apogée à la fin de celle-ci, toujours comme lui. Le Tour de France 1998 reste celui de l'affaire Festina, de la gangrène généralisée mais Marco de Cesenatico trône toujours bel et bien au palmarès de cette édition de sinistre mémoire. Comme si de rien n'était. Comme si rien n'avait été. Après lui, juste après lui vint l'ère Lance Armstrong et tout ce qu'elle a drainé. Elle a été rayée de l'histoire du Tour. Mais pas le sacre de Pantani. Y aurait-il les bons et les méchants ? Le diable que l'on bannit et le diablotin à qui l'on pardonne ?
Le Texas est loin et c'est tant mieux, mais eut-il été la porte à côté que l'on imagine mal Christian Prudhomme organiser le passage de la caravane et du peloton dans les rues d'Austin pour une procession mémorielle. Le patron du Tour et ses équipes ont-ils hésité à venir ici en appuyant à ce point sur ce qui apparaît comme "le week-end Pantani" ? "Marco Pantani est assurément ombre et lumière, a concédé Prudhomme cette semaine. Mais son nom est écrit des centaines de fois sur les routes italiennes, il y a un côté fascinant".

L'enfer, c'est les autres, les salauds aussi

Nous y voilà. Ce n'est pas un ancien vainqueur que l'on vient célébrer ici, mais une forme de mythe. L'homme a fasciné, le coureur aussi, comme s'il venait d'une autre époque. Pantani était intemporel. Différent des leaders de son temps, les Indurain, les Ullrich et les Armstrong, avec lesquels il a dû batailler. Il nourrissait l'imaginaire. Peut-être est-ce pour cela qu'on lui a davantage pardonné qu'à d'autres.
En Italie, l'éponge était moins chargée et a été largement passée. Chez lui, dans cette Emilie-Romagne des plages de l'Adriatique, ne dites pas du mal de Marco Pantani. Là-bas, personne ne s'avisera de le résumer à un tricheur ayant perdu son âme dans le dopage et sa vie dans la drogue. Il reste un héros mythique de par ses envolées, et un héros tragique via sa mort si précoce, à 34 ans. A Cesenatico, où sa statue l'impose sur la Piazza Marconi debout sur ses pédales, en danseuse et en montée sur un bloc de granit incliné, point de controverse. Le personnage est incontournable et aimé.
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La statue de Marco Pantani à Cesenatico.

Crédit: Getty Images

Outre la statue, Cesenatico abrite la tombe de Pantani et un musée à sa gloire et à sa mémoire, dont la directrice, Serena Boschetti, n'est autre que la nièce du regretté grimpeur. "Ce qui nous étonne, c'est de voir parmi les visiteurs des enfants, des jeunes qui n'étaient pas nés quand Marco courait. Il fascine encore par ses victoires, son style offensif, son look de pirate, avec son bandana et ses boucles d'oreille, mais aussi par son parcours : il a eu tant de blessures et de galères mais il a toujours réussi à repartir", confiait-elle il y a quelques jours à l'AFP.
Rien, pas même ses pages les plus sombres, comme son exclusion du Giro 1999 pour un taux hématocrite supérieur à 50% à deux jours de l'arrivée alors que la victoire lui était promise, ne semblent avoir de prise sur son héritage auprès de ses fans. A l'époque, déjà, beaucoup le voyaient plus comme le prisonnier d'un système global qui lui tournait le dos que comme un coupable. Une victime, Pantani ? L'enfer, c'est les autres, les salauds aussi.
Je sais à quel point il a été important pour le cyclisme en Italie et à travers le monde
Même dans la mort, l'icone fait débat. Depuis 20 ans. Officiellement, la théorie de l'overdose de cocaïne dans cette chambre d'hôtel de Rimini reste la seule mise en avant. La famille, elle, a mené une longue bataille judiciaire, convaincue qu'elle est que Pantani a été tué. En 2014, dix ans après sa mort, les conclusions de la contre-enquête ouverte ont confirmé la thèse officielle. Mais à l'image de Tonina, la maman de Marco, la colère ne s'est jamais estompée. Présente ce week-end, la venue du Tour a tendance à aiguiser sa peine plus qu'elle ne l'apaise. "Le mal ne s'efface pas avec un hommage 20 ans après", clame-t-elle.
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Le Tour après le Giro : 1998, le temps des triomphes pour Marco Pantani.

Crédit: Imago

Complexe et controversé, jusqu'au bout et même par-delà sa mort. Marco Pantani a donné une popularité inouïe au cyclisme à la fin du siècle précédent. Il a contribué à sa grandeur mais, comme d'autres, il a aussi incarné une génération qui a fait beaucoup de dégâts. Elle n'était pas responsable de tout, mais l'absoudre à 100% est impossible. Le système a les épaules larges, mais de là à tout lui mettre sur le dos...
"Je suis trop jeune pour me souvenir de Pantani quand il était vivant, mais j'adorerais accomplir ce qu'il a fait. Je sais à quel point il a été important pour le cyclisme en Italie et à travers le monde." Ainsi parle Tadej Pogacar, dont la quête du doublé Giro-Tour contribue à revivifier le souvenir d'un champion qui, de pouvoir de fascination en contradictions, demeure à part.
Le temps se charge de réguler l'héritage de chacun. Pantani continue donc d'occuper une place unique. Parce qu'il était différent, mystérieux, et parce qu'il est mort jeune. Il y a du Senna chez lui. Les deux hommes sont partis au même âge à dix ans d'intervalle. Le mythe Pantani. La mythologie Pantani. Il n'était pas un saint. Son aura était plus grande que son auréole. Dans toute son humanité, pleine de forces et de fragilités, le Pirate perdure.
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