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Le doublé Giro - Tour, du banal à l'impossible ?

Laurent Vergne

Mis à jour 27/06/2024 à 11:10 GMT+2

Lorsque Marco Pantani a réussi le doublé Giro – Tour en 1998, il n'avait fait qu'emprunter un sillon tracé régulièrement au cours des années précédentes. Après lui, fin de la tradition. Personne n'a enchaîné maillot rose et maillot jaune au XXIe siècle. Mais pour signer pareil doublé, encore faut-il le tenter. Ils ont été rares à s'y attaquer depuis un quart de siècle. Mais Tadej Pogacar arrive...

Le doublé Giro-Tour, du petit-lait pour Pogacar ? "S'il se met à faire 35 ou 40 degrés…"

C'est un des fantasmes du cyclisme. Un doublé de prestige. Rare, à l'échelle de l'histoire. Presque impensable de nos jours. Pourtant, remporter en l'espace de deux mois le Tour d'Italie et le Tour de France n'a pas toujours constitué une quête impossible. Il fut même un temps, à la fin du siècle passé, où la chose était, sinon devenue totalement banale, en tout cas assez commune. Puis elle est retournée au rang des fantasmes. Mais 2024 pourrait la transformer à nouveau en réalité.
Lorsque le dernier doublé Giro-Tour a été réalisé entre le printemps et l'été 1998, Tadej Pogacar n'était même pas né. Le Slovène a vu le jour juste après, en septembre de cette même année. Marco Pantani venait de rejoindre, dans l'ordre, Fausto Coppi, Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Bernard Hinault, Stephen Roche et Miguel Indurain. Sept hommes ont donc accompli cet exploit. A eux sept, ils totalisent douze doublés puisque Coppi, Hinault et Indurain y sont parvenus chacun à deux reprises, le Cannibale Merckx étant comme presque toujours seul sur sa planète avec trois doublés.
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Marco Pantani, du rose au jaune, en 1998.

Crédit: Eurosport

Le cyclisme a changé d'âme en changeant de millénaire

Mais c'est après l'immense champion belge que cette performance s'est vraiment ancrée comme une tradition dans le peloton, dans les années 80-90. De 1982 à 1998, il y a ainsi eu pas moins de six doublés Giro-Tour en l'espace de 16 ans. Pas une saison sur deux mais pas loin. Grandir dans ces années-là, c'était s'habituer à une forme de normalité face à ce qui, dans l'absolu, relève pourtant de l'anormalité :
1982 : Hinault
1985 : Hinault
1987 : Roche
1992 : Indurain
1993 : Indurain
1998 : Pantani
Depuis, plus rien. Une raison explique pourquoi nous avons assisté à autant de triomphes en rose puis en jaune à cette époque. La qualité de ces coureurs a joué, bien sûr mais, après, tout, chaque époque recèle des spécimens d'une nature capable d'accomplissements différents. Mais pour réussir un doublé Giro-Tour, encore faut-il le tenter. Or à cette époque, c'était le cas. Il y aurait ainsi pu y avoir encore plus de doublés.
Laurent Fignon est passé tout près à deux reprises. En 1984, il avait buté sur Francesco Moser en Italie, dans les conditions que l'on sait, avant de survoler le Tour. Cinq ans plus tard, il s'octroyait enfin le Giro avant de manquer le maillot jaune pour huit secondes aussi petites que fameuses l'été venu. Miguel Indurain, lui, s'était attaqué au triplé-doublé en 1994 mais il avait cette fois échoué sur la troisième marche du podium en Italie, derrière Berzin et Pantani.
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Bernard Hinault - Giro d'Italia 1985

Crédit: Imago

Puis le cyclisme a changé d'âme en changeant de millénaire. L'ère des ultra-ultra-spécialistes était née, celle symbolisée, en son temps, par Lance Armstrong. Il ne serait jamais venu à l'idée du Texan de chasser le Tour d'Italie avant celui de France, du temps où il en était le maître avant d'en devenir le roi déchu et banni. A de rares exceptions près, Alberto Contador et Chris Froome étant les plus notables, s'attaquer au célèbre enchaînement des deux côtés des Alpes n'a plus été à l'ordre du jour.

Contador y croit

Mais tout pourrait être différent cette année, par l'entremise d'un homme pas tout à fait comme les autres. Cette année, Tadej Pogacar a gagné le Giro et il n'était évidemment pas question pour lui de ne pas viser la victoire également sur le Tour de France. Le Slovène a cassé pas mal de codes et brisé bon nombre de barrières ces dernières années et si quelqu'un est en mesure de renouer avec le fil d'une histoire cassé depuis maintenant plus d'un quart de siècle, c'est sans doute lui.
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De Florence à Nice : le parcours complet du Tour de France 2024

C'était déjà ce que l'on avait dit de Contador. En 2011 et 2015, il avait fini en rose à Milan (avant d'être déchu de la victoire dans le premier cas, NDLR) mais avait coincé en juillet dans l'Hexagone pour finir 5e, et à bout de souffle. Le doublé Giro-Tour était considéré comme extrêmement difficile, mais l'Espagnol semblait être le seul champion de taille à s'y attaquer. Il avait échoué, tout comme Chris Froome en 2018. D'eux, le ressenti général était, déjà, à tour de rôle : "Si quelqu'un peut le faire, c'est lui".
Tadej Pogacar reprend donc ce flambeau et plus encore que Contador, Froome ou n'importe qui, il paraît avoir les épaules et les mollets pour succéder de manière lointaine à Pantani, l'année où la Grande Boucle passera d'ailleurs à Rimini, la patrie du Pirate.
Alberto Contador n'est donc pas le moins bien placé pour en juger. Le Madrilène, consultant d'Eurosport, est-il inquiet pour "Pogi" ? "Pas du tout, nous assure-t-il. Tadej a suffisamment de force dans les jambes pour aborder ce Tour avec des garanties malgré les efforts du Giro. Et même si on a pu avoir le sentiment qu'il était à fond, je pense qu'à certains moments, il s'est préservé. Il avait une équipe taillée pour bien le protéger et ce sera aussi le cas sur le Tour. Ce ne sera pas un problème pour lui."
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Hinault : "Pogacar va faire partie du club des grands, avec Merckx, moi et Anquetil"

Hinault : "Un blocage psychologique"

Vincenzo Nibali n'a jamais réussi le double coup de maître italien et français dans la même année, mais il s'y connait en matière de grands Tours pour avoir épinglé au fil de sa carrière la Vuelta, le Giro et le Tour. Lui aussi imagine tout à fait Pogacar en mesure de doubler la mise. "C'est très possible, comme Jonas Vingegaard pourra le viser lui aussi dans le futur, esquisse le Requin. Le cyclisme est devenu tellement technologique, tout est calculé en amont avec des instituts de recherches universitaires, dès la préparation d'avant saison, la nutrition, le vélo, le maillot, le casque. Les gains marginaux sont devenus fondamentaux".
"Si nous on était capable de le faire, je ne vois pas pourquoi des coureurs d'aujourd'hui ne seraient pas capables de le faire, soupire Bernard Hinault. Ça voudrait dire qu'ils sont moins bons que nous ? Non. Ils sont aussi bons que nous et peut-être meilleurs que nous".
Mais pour le réussir, il faut se conditionner pour. Or pour le dernier vainqueur tricolore, le problème est d'abord dans la tête. Si personne n'a signé le doublé depuis la fin du XXe siècle, c'est, selon lui, "parce qu'ils se sont mis dans la tête que c'était impossible. C'est un blocage psychologique". Et parce que les priorités avaient changé. Hinault, encore : "Le Tour compte énormément. Certains se sont dit 'je me concentre sur le Tour de France, je ne vais pas aller faire le Tour d'Italie et puis c'est tout'."
Mais le Blaireau est persuadé lui aussi que la disette peut prendre fin. Il est même plus direct et péremptoire que ça. "Pogacar va démontrer que c'est faisable, affirme le Breton. A moins qu'il chute. Ce n'est pas écrit qu'il ne va pas chuter. Mais si tout se passe bien, il va faire le doublé." Si quelqu'un peut le faire... On connait la chanson. A Pogacar, désormais, d'écrire sa partition sans fausse note pour écrire une de ces pages d'histoire dont il raffole tant.
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Une révérence pour finir : l'arrivée triomphale du fuoriclasse Pogacar

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