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Bernard Hinault avant le Tour de France : "Tadej Pogacar m'a redonné goût au vélo"

Christophe GAUDOT

Mis à jour 24/06/2024 à 11:48 GMT+2

A l'approche de ses 70 ans qu'il fêtera le 14 novembre prochain, Bernard Hinault a dévoilé son nouveau livre, Hinault 1975-1986 (Mareuil Editions). Entre Eddy Merckx, lui et Tadej Pogacar, qu'il voit favori du Tour de France qui s'élance samedi de Florence, le "Blaireau" voit une évidente filiation. D'ailleurs, Hinault adore le Slovène et sa manière de courir.

Hinault : "Pogacar va faire partie du club des grands, avec Merckx, moi et Anquetil"

Au début de votre livre, on lit une anecdote sur vous enfant qui libérait les poules et les lapins des cages malgré les remontrances musclées de votre papa. Est-ce la même liberté qui vous a amené au vélo ?  
Bernard Hinault : Un peu, et puis quand on est jeune, on est un peu idiot. C'était marrant de les voir courir, mais après il fallait qu'on les rattrape, mais ça nous amusait. C'était un jeu, mais c'est peut-être le début de la compétition parce que je n'étais pas tout seul, il y avait aussi les frangins qui étaient là. J'allais à l'école à vélo, c'était mon passe-temps, mon plaisir. C'était la compétition avec tout le village parce qu'on était 40 enfants. Tout le monde se retrouvait et c'était parti dans tous les sens. Le goût de la compétition, il est venu comme ça. 
Hinault 1975-1986 (Mareuil Éditions)
Dans le livre, vous racontez aussi comment votre premier manager chez les professionnels, un certain Jean Stablinski, pressait "les coureurs comme des citrons"... 
B.H. : J'avais du tempérament, je voulais gagner et lui aurait voulu que je fasse tout. Dès le départ, j'ai fait presque toutes les courses en Belgique. Déjà, ce n'était pas chez moi, mauvais temps. Je n'avais pas trop le moral. Et puis, il a insisté pour que j'aille faire le Dauphiné, je l'ai fait. Et derrière, il me dit, "tu viens au Tour de France pour faire les six ou huit premiers jours pour foutre le bordel." J'ai répondu que si je venais, je ne foutrai pas le bordel et j'irai jusqu'au bout. Je n'y suis pas allé. 
Comment arrivait-on dans le peloton dans les années 70 ? On reproche aujourd'hui à certains jeunes de ne pas respecter les anciens. On a l'impression que vous, par exemple, quand vous êtes arrivé, vous aviez envie de prendre votre place… 
B.H. : Oui, je suis arrivé dans l'équipe et on m'a tout de suite parlé d'Eddy Merckx. J'ai dit, "Merckx, il est comme moi, il a deux bras, deux jambes, une tête, il s'en sert, moi aussi. Je ne vois pas pourquoi j'irai me rabaisser." Aujourd'hui, peut-être que c'est différent, plein de choses ont changé. Avant, quand il y avait un danger sur la route, on faisait signe aux autres derrière. Maintenant on a presque l'impression qu'on se dit : "s'il y en a dix qui tombent, ça fait dix de moins dans la course".  
Il y a un jeune Français qui brille cette saison : Lenny Martinez. Comment le jugez-vous ?  
B.H. : Il a fait de super numéros ! Mais en haute montagne, il a quand même quelques difficultés. Je crois qu'il est fait pour les courses d'un jour. Il a un punch qu'il ne faut pas oublier. C'est un peu le style Julian Alaphilippe. Il est capable de faire des super numéros. Pour moi, c'est un coureur de classiques difficiles, comme Liège-Bastogne-Liège, la Flèche Wallonne, le Tour de Lombardie…
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Sur les grands tours, il peut s'en sortir et gagner des étapes. Mais s'il est placé au général, il ne pourra jamais. Alors, il faut réfléchir : est-ce qu'il ne vaut mieux pas se dire, je n'en ai rien à foutre du classement général et puis je me fais deux étapes ? Et à l'occasion, je gagne le classement de la montagne. 
Un raisonnement que l'on pourrait appliquer à David Gaudu aussi… 
B.H. : Dans dix ans, est-ce qu'on parlera encore de sa 4e place ? Alors que s'il prend le maillot à pois, en ayant gagné peut-être une, deux ou trois étapes de montagne, les belles étapes de montagne que l'on a, tout le monde va s'en rappeler. 
Quel coureur français vous a le plus fait croire à une nouvelle victoire sur le Tour de France ? 
B.H. : Je pense que c'est Romain Bardet quand il fait 2e. Parce qu'il a osé attaquer à un moment où c'était pluvieux, dangereux. Il a tenté : ou je gagne, ou je perds. Et si Froome, qui chute ce jour-là, ne remonte pas sur son vélo, qui gagne ? Lui. C'est lui qui a été le plus près d'une victoire du Tour.  
Avant le Tour de France, et en l'absence de Julian Alaphilippe, le paysage français est un peu triste en 2024. Comment faire vibrer le public sur ce Tour ?  
B.H. : Il faut que nos coureurs gagnent des étapes, qu'ils ne se posent pas de questions par rapport au classement général. Dire, "on va gagner des étapes et on va montrer qu'on existe." Moi directeur sportif, c'est ce que je ferais. On ne calcule pas. Il y a de très belles étapes à gagner, des numéros à faire.  
La suite, ce sont les Jeux Olympiques de Paris… 
B.H. : Si j'étais coureur, j'aurais adoré participer ! Parce que c'est chez moi, c'est en France. Et puis, le parcours est assez difficile. (Julian) Alaphilippe, je pense que s'il est bien préparé, et même les 4 coureurs que l'on aura, ont tous une chance de gagner. Il ne faudra pas tout mettre sur un coureur, à moins qu'il soit sûr de son coup. Mais s'il n'est pas sûr, dans ce cas-là, on joue tous les coureurs, tout le monde. Et on perturbe un peu les adversaires qui, eux, vont penser qu'il n'y a que Alaphilippe. 
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Dans notre ère, il y a deux grands coureurs de grands tours : Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard. Duquel vous sentez-vous le plus proche ? Il y en a un… 
B.H. : (il coupe) Pogacar ! Ça ne peut pas être autrement. Il gagne au printemps, il gagne l'été, il gagne en fin de saison. C'est le plus proche de nous par rapport à tout ce qu'on a pu faire, que ce soit (Eddy) Merckx, ou d'autres coureurs. C'est celui qui est le plus près de nous, sincèrement. Il attaque, il s'amuse, il est heureux. C'est passionnant. Moi j'ai retrouvé du plaisir à regarder le vélo à partir du moment où il est arrivé. Et il y a d'autres coureurs qui sont là, des jeunes, beaucoup de jeunes qui ne se posent pas de questions. Quand ils sentent qu'il y a l'opportunité d'aller chercher la victoire, Boum ! 
Pogacar est plus joueur que Vingegaard. Ça n'a rien à voir, rien. Et puis en plus, ce sourire qu'il a… Une fois il m'a fait plaisir dans une interview en disant "je m'amuse, je me fais plaisir, je joue". C'est grandiose pour moi ! C'est ce que moi, j'ai toujours vécu. Parce que le sport, ce n'est pas un métier. C'est un jeu, du plaisir, de la jouissance. Quand on lâche les autres, on se dit : "tiens, encore un de moins." 
Vous vous êtes ennuyé un moment devant le cyclisme ?  
B.H. : Il y a eu une période où on avait une grosse équipe qui muselait tout le monde. On arrivait au pied du col, ils se mettaient tous à rouler. Et puis, le leader s'en allait à un kilomètre de l'arrivée. Ça, c'était un peu ennuyeux. Qu'est-ce qu'on fait ? On vient pour les dix derniers kilomètres parce qu'on veut quand même voir un peu le sprint mais ce n'était pas passionnant. Et depuis qu'il y a cette jeune génération, c'est nettement mieux. Je le ressens avec tous les gens que je côtoie. Les gens m'en parlent beaucoup. 
Nous parlions de Tadej Pogacar, il va tenter le doublé Giro-Tour que vous avez réussi deux fois… 
B.H. : Mais il va le faire. Il va le faire ! 
Vous le voyez comme favori ?  
B.H. : Largement. Qui va être en face ? Vingegaard blessé ? Pas blessé, mais qui revient d'une blessure… Il faut voir ce qu'il s'est passé l'an dernier. Pogacar se casse le poignet au moment de Liège-Bastogne-Liège. Il se bat comme un chiffonnier pendant un certain temps et il a deux jours sans. Et quand on voit la performance de Pogacar au Tour d'Italie, c'est incroyable. Je pense qu'il va faire partie du club des grands.  
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Vous mettez qui dans le club des grands ?  
B.H. : (il sourit)... Eddy Merckx, moi, Jacques Anquetil… À l'âge qu'il a, Pogacar a déjà un palmarès extraordinaire ! 
Est-ce que vous pensez que lui peut gagner les cinq Monuments ?  
B.H. : Il peut gagner quand il en a envie ! Et travailler pour les classiques ne se ferait pas au détriment du Tour de France. Les qualités, on les a, ou pas. Il a surtout une puissance qui est phénoménale.  J'étais au Tour de l'Avenir qu'il a gagné (en 2018). Et puis le Tour de France 2020 bien sûr. 
Il y a peut-être une erreur de Roglic dans les Pyrénées quand il le laisse revenir. Je crois qu'il ne pensait pas que Pogacar allait lui mettre une déculottée dans La Planche des Belles Filles. Il y en a un qui fait une super performance et l'autre qui s'écroule complètement. C'est un peu ce qui s'est passé avec Laurent Fignon et Greg Lemond sur les Champs-Elysées en 1989. Il y en a un qui prend seconde par seconde et l'autre, mentalement, qui perd seconde par seconde. Et ça va vite. 
Vous auriez aimé courir contre cette nouvelle génération ? 
B.H. : Bien sûr ! Mais je n'ai aussi pas eu la chance de courir à l'époque du grand Merckx. Ça aurait été génial. On se serait mis une bonne branlée.  
Vous avez quand même couru un peu contre lui, vous l'avez même battu au Critérium du Dauphiné 1977. Était-ce important pour vous ? 
B.H. : Important, non. Ça fait partie de la course. Et il m'a aidé parce que quand je chute dans le col de Porte, le lendemain, tout le monde m'attaque. J'étais le jeunot, ils n'allaient pas me faire de cadeau. A un moment, lui aussi était lâché. Il m'attendait. Il me disait "accroche-toi, accroche-toi !" Il revenait me chercher. Et ce jour-là, il m'a fait gagner le Dauphiné. Et quand Merckx vous dit accroche-toi, on s'accroche jusqu'à la limite. C'était mon idole, je n'avais pas le droit de le décevoir.
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Hinault : "Ça aurait été génial de courir contre le grand Merckx, de se mettre une bonne branlée"


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