"Seul dans son monde" : Comment Thibaut Pinot s'est construit le scénario parfait dans son virage

Ils étaient loin d'imaginer ça ce vendredi 22 juillet à 23 heures dans la nuit parisienne. Ces 50 et quelques personnes qui prennent place dans le bus qui doit les conduire dans le col du Petit Ballon, au cœur des Vosges, le terrain de jeu de Thibaut Pinot, ne pouvaient alors anticiper ce qu'il allait se passer, de l'immense engouement populaire qui accompagnera cette folle journée au scénario, presque holywoodien, qu'elle allait réserver. Le documentaire "Virage Pinot" retrace cette journée qui a marqué l'histoire du Tour. Il est à voir sur Eurosport 2 ce jeudi 28 décembre à 22h.

Non, Thibaut Pinot n'a pas levé les bras pour son dernier Tour de France, et même cette dernière étape de montagne dans les Vosges, comme un cadeau à l'enfant du coin sur le point de devenir retraité, s'est refusée à lui. "Et alors ?", ont envie de répondre les milliers d'ultras Pinot qui ont vécu ce samedi 23 février au cœur du Virage éponyme. Comment pourraient-ils regretter une chose aussi futile qu'un succès quand les émotions qu'ils ont vécues surpassent tout le reste ? S'ils ont encore les frissons qui viennent à l'évocation de leurs souvenirs, c'est pour une chose : celle d'avoir vu leur idole seul en tête fendre la foule de ceux qui, ce jour-là, l'aiment plus que tout.

Ce samedi matin, la Groupama-FDJ sait qu'elle doit, si ce n'est sauver son Tour, au moins lui donner une autre couleur mais impossible d'imaginer battre Jonas Vingegaard ou Tadej Pogacar à la pédale. "La stratégie est simple, confie Pinot dans le documentaire. Mettre le plus de monde possible dans l'échappée, (David) Gaudu, (Valentin) Madouas, moi..." Dans le car de la FDJ, le briefing ne s'attarde pas sur la der' de Pinot, et ce même si Marc Madiot a saisi l'importance du moment, lâchant même quelques larmes à notre micro.

"Thibaut avait une part importante du briefing mais il n'est pas la seule carte, raconte Valentin Madouas. C'est l'électron libre, il fait ce qu'il veut, on ne le jugera pas". Mais prendre la bonne échappée sur la dernière étape de montagne d'un Tour mené sur un rythme fou est tout sauf une sinécure. Pinot rame : "La première échappée part sur une chute dans le Ballon d'Alsace. Je me dis 'merde, ça ne sent pas bon'".

Il était écrit qu'une bonne étoile veillait sur Pinot, ou plutôt une constellation, celle des Groupama-FDJ qui se mettent minables pour lui. Stefan Küng d'abord, parti en éclaireur dans la Croix des Moinats et qui lui fait la descente. Valentin Madouas ensuite qui essore le groupe de tête. Là-bas, quelques kilomètres plus loin, on suit l'étape avec les moyens du bord, franchement limités avec autant de monde. Alors on espère, on attend, on piaffe, on y croit. Puis l'on comprend que sauf accident, Pinot va passer en tête dans son virage. Mais seul ? On ne le pense pas, et surtout on ne le sait pas.

Alors que les quatre hommes de tête, dont Madouas et Pinot grimpent le Petit Ballon, c'est silence radio en haut. Personne n'arrive à savoir. Thibaut lui sait que Pogacar, Vingegaard et le peloton rôdent trop proches pour patienter. "Valentin voulait être avec moi pour ce moment, dit-il au moment de raconter l'attaque qui le porte seul à l'avant. Je ne peux pas l'attendre. Je regarde devant, il y a le virage Pinot qui m'attend. La cerise sur le gâteau, c'est d'arriver tout seul." Le gâteau était somptueux, la cerise à la hauteur.

Car là-haut, ce ne sont plus deux ou trois centaines de personnes qui l'attendent mais des milliers. Devant cet afflux inattendu, les organisateurs mais aussi Arthur Vichot ou Julien Pinot, le frère, tremblent et martèlent les messages de sécurité pour ne pas gâcher la fête. Elle sera magnifique. "Seul dans son monde", Pinot fend une foule en délire qui n'osait espérer un tel scénario. Tenu informé la veille au soir par le pote Vichot, Pinot pense que l'ambiance sera grande. Il découvre qu'elle est immense.

"J'ai les oreilles qui ont sifflé pendant 48 heures, se souvient-il dans "Virage Pinot". Il y a tellement de bruit et de monde, tu as juste l'impression que c'est irréel. On voit que j'ai des frissons, ça me transcende, ça me nourrit." Un morceau d'histoire personnelle et collective. L'adieu parfait pour les uns, les autres, et au Tour de France, grandi ce jour-là par un grimpeur valeureux et ceux qui sont venus le célébrer ?