Saison historique, statut fragile : Le paradoxe Jumbo-Visma

On peut avoir remporté trois grands tours sur trois, trusté toutes les places sur le podium du dernier, être double vainqueur en titre de la plus grande course du monde et compter dans ses rangs Jonas Vingegaard, Wout van Aert, le champion d'Europe Christophe Laporte, Dylan van Baarle ou Sepp Kuss et ne pas tout à fait savoir de quoi demain sera fait. Meilleure équipe du monde, statut incontestable et incontesté, la Jumbo-Visma vit une fin de saison surprenante, au point que l'on se demande si elle ne va pas l'achever plus fragilisée qu'en janvier.

Rappel des faits. Depuis quelques mois déjà, l'équipe néerlandaise sait qu'elle devra, à terme, trouver un remplaçant à Jumbo, co-sponsor de l'équipe, qui a décidé d'arrêter ses opérations de sponsoring sportif à l'exception notable de Max Verstappen, et ce à l'horizon 2024, soit quand ses engagements actuels prendront fin. Nanti d'une petite trentaine de millions d'euros de budget, Jumbo-Visma doit compenser. Il fut un temps question de Neom, la ville futuriste construite par l'Arabie Saoudite, qui viendrait concurrencer les Emirats Arabes Unis (UAE-Team Emirates), le Bahreïn (Bahrain-Victorious) et même Israël (Israël - Premier Tech).

Le projet semble avoir fait long feu et la fusion avec Soudal-Quick Step a fait surface, agitant le monde du cyclisme avant de mourir en fin de semaine dernière. Amazon, un temps annoncé comme possible sponsor de Jonas Vingegaard & co. se serait lui aussi retiré. Difficile à cette heure de douter de l'avenir à court, moyen et long terme de la structure Jumbo-Visma. Tôt ou tard un sponsor solide, et mieux sans doute, arrivera et pourrait même permettre de rattraper INEOS et UAE, champions budgétaires du peloton (entre 35 et 40 millions d'euros par an).

Reste que l'épisode interroge sur la santé d'un écosystème dans lequel la meilleure équipe du monde envisage d'aller chercher son prochain mécène chez l'une de ses concurrentes que l'on peut aisément classer, elle aussi, dans le top 5 international. Avec ses résultats (Giro, Tour, Vuelta mais aussi Tirreno-Adriatico, le Tour de Catalogne et le Pays basque, le Dauphiné, l'E3, Gand-Wevelgem…) et 65 victoires au total (personne ne fait mieux), Jumbo-Visma aurait dû déjà être fixée sur la suite.

Qui d'autre qu'elle a des arguments plus solides en termes de visibilité pour une marque ? On peut toujours évoquer les suspicions de dopage et penser qu'elles freinent les ardeurs de possibles prétendants, mais toutes les équipes qui dominent dans le cyclisme y ont le droit. S'il n'y avait pas eu ces rumeurs, fondées, sur une possible fusion avec Soudal-Quick Step, la direction aurait pu avancer qu'elle prenait son temps, l'argument ne tient plus.

Jumbo-Visma est à l'évidence fragilisée. Médiatiquement, bien plus que sportivement, mais même de ce point de vue-là, 2023 a laissé des traces. Il y a quelques jours, Primoz Roglic a annoncé qu'il allait quitter l'équipe. BORA-Hansgrohe va accueillir le vainqueur du Tour d'Italie 2023, triple lauréat de la Vuelta et deuxième du Tour de France 2020, l'un des meilleurs coureurs de grand tour de la planète, sur le podium même sans aucun doute derrière Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar.

Le Slovène n'aurait pas apprécié d'avoir dû se ranger derrière Sepp Kuss et Vingegaard sur la dernière Vuelta. Assurée du triplé, Jumbo-Visma avait figé les positions. Or, Roglic espérait secrètement battre Vingegaard pour prouver qu'il avait encore sa place en tant que leader de l'équipe sur le Tour de France. Comprenant qu'il n'aurait plus cette chance, celui qui avait rejoint l'équipe en 2018 a préféré partir, clôturant un chapitre important de l'histoire récente de la Jumbo.

Même avec un recrutement malin (Jorgenson, Tullett), Jumbo-Visma n'a évidemment pas compensé ce départ et ses ambitions s'en ressentiront en 2024. Sans ce deuxième leader de classe mondiale, les Jaunes et Noirs ne pourront plus autant dominer les courses par étapes, sauf à penser que Kuss acceptera d'endosser le rôle pendant une saison entière ou que les Jorgenson, Valter ou Gloag franchiront plusieurs caps en un hiver. Ce n'est pas le plus probable, en revanche que Jumbo-Visma soit moins forte en 2024, l'est assurément.