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Cyclisme - Carnet Noir - Federico Bahamontes, Grand d'Espagne

Béatrice Houchard

Mis à jour 08/08/2023 à 20:05 GMT+2

Federico Bahamontes, surnommé "l’Aigle de Tolède", premier Espagnol à avoir remporté le Tour de France, est mort mardi à l'âge de 95 ans. Pour Eurosport, Béatrice Houchard revient sur le parcours, la carrière et la trace laissée par celui qui avait également remporté le Tour d'Espagne à deux reprises.

Federico Martín Bahamontes, en el Tour de Francia

Crédit: Getty Images

C’est une vieille photo en noir et blanc : sur le quai de la gare de Dunkerque, photographié de dos, Federico Bahamontes va prendre le train. Valise tenue dans la main droite, vélo poussé de la main gauche. Il vient d’abandonner le Tour 1960 à Malo-Les-Bains. L’image est chaplinesque et son acteur est un Grand d’Espagne. Zoom avant, on file vers 2019. En pantalon clair et blazer élégant, aussi mince et bien coiffé que jadis, Federico Bahamontes, le 10 septembre, inaugure à Tolède sa statue restaurée après des actes de vandalisme et quelques jours avant le passage de la Vuelta (Rémi Cavagna gagnera l’étape), ce tour national où Bahamontes ne s’est jamais imposé que comme meilleur grimpeur.
Ce vieux Monsieur souriant et d’allure juvénile, alors âgé de 91 ans, était devenu deux ans plus tôt, à la mort de Roger Walkowiak, le vétéran des anciens vainqueurs vivants du Tour (ce sera désormais Lucien Aimar, vainqueur en 1966). Et si sa légende est plus grande que son palmarès, il restera comme celui qui, aux temps sombres du général Franco, était devenu en 1959 le premier Espagnol à gagner le Tour de France. Après lui, il y aura Luis Ocana, Pedro Delgado, Miguel Indurain, Oscar Pereiro, Carlos Sastre et Alberto Contador.
On raconte parfois que Bahamontes n’avait dû son triomphe qu’aux rivalités françaises. Dans l’équipe de France doivent en effet cohabiter, en 1959, Bobet, Anquetil, Rivière et Geminiani. Evidemment, ça se passe mal et c’est un Français d’une équipe régionale, Henry Anglade, qui montera sur la deuxième marche du podium, Anquetil étant troisième après avoir été battu deux fois contre la montre par Rivière. Louison Bobet, lui, mettra pied à terre au sommet du col de l’Iseran, disant adieu au Tour comme le fera quelques jours plus tard Jean Robic.
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Federico Bahamontes

Crédit: Getty Images

Le premier matador cycliste de son pays
Vainqueur contre la montre au Puy-de-Dôme, au lendemain de ses 31 ans, bataillant contre son meilleur ennemi, Charly Gaul (vainqueur en 1958), Bahamontes prend le maillot jaune à Grenoble pour ne plus le lâcher. Pour Anquetil, mieux valait voir gagner un coureur étranger que permettre à un dauphin de venir lui faire de l’ombre. Une vieille histoire et pas seulement en sport... Mais Bahamontes, premier des Grands d’Espagne, n’a pas volé sa victoire. Entre 1954 et 1964, il a conquis six fois le Grand prix de la montagne, qui n’offrait alors pas de maillot distinctif. Il pensait toujours être le seul recordman, balayant d’un mot le record de Richard Virenque (sept maillots à pois) : "Du pipeau !" Pour Jean Bobet, pas de doute : "C’est en réalisant des passes prestigieuses sur les montagnes de France que ce fier hidalgo est devenu le premier matador cycliste de son pays."
En Espagne, on lui demandait surtout de gagner les grands prix de la montagne. Il paraît d’ailleurs qu’il avait peur dans les descentes. Un jour, en haut d’un col, il avait chipé une glace à un marchand ambulant (double crème vanille-chocolat, précise le journaliste Jacques Augendre). Il était aussi fantasque que bon grimpeur. Et même un peu "loco" (fou) disait son ennemi espagnol Jesus Lorono. Au total, Bahamontes a remporté onze étapes dans les grands Tours, dont sept en France : trois étapes en 1958, les autres en 1959, 1962, 1963 et 1964, sans qu’un exploit précis s’impose à la mémoire alors qu’il a franchi en tête tous les cols que lui offrait le Tour. Les commentateurs décrivent alors Federico Bahamontes comme "un coureur noiraud à la coiffure ondulée et aux jambes merveilleusement galbées" (Pierre Chany), "un baroudeur abrupt et brutal, au faciès anguleux" (Jacques Augendre), un homme "au corps chétif et aux jambes noueuses" (Jacques Goddet).
Ce 19 juillet 1959, Federico Bahamontes avait réconcilié avec elle-même une Espagne encore meurtrie par la guerre civile. La ville de Tolède, où il avait auparavant déchargé des oranges sur le marché, s’était parée de jaune et avait sorti les fusées du feu d’artifice. Le maire de la ville félicitait les parents du héros, on courait à la cathédrale pour remercier la Vierge du sanctuaire. "A partir d’aujourd’hui, put-on lire dans le quotidien sportif Marca, toutes les bicyclettes d’Espagne seront plus légères et plus allègres, comme si elles étaient poussées par le vent du triomphe de notre Federico".
Quelques jours plus tard, Bahamontes sera reçu par Franco à l’Alcazar à Madrid. Le Caudillo félicitant l’Aigle de Tolède… Il faudra encore attendre seize ans pour que s’achève la dictature, mais on ne connaîtra jamais vraiment les opinions politiques de Bahamontes : "Ce sont des souvenirs trop douloureux", répondit-il en 2009 dans Le Monde, refusant d’en dire plus. En 1963, Bahamontes termine deuxième du Tour à seulement 3’35’’ d’Anquetil. En 1964, à 36 ans, il est troisième. Anquetil en maillot St Raphaël, Bahamontes en maillot Margnat, à une époque où l’apéritif et le vin étaient les bienvenus dans le peloton ! Antoine Blondin, qui n’a pas toujours été tendre avec l’Espagnol, lui trouve alors un grand mérite : "Le vétéran des Alpes et des Pyrénées nous guérit de notre âge et contribue à nous le faire aimer."
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Federico Bahamontes

Crédit: Getty Images

Un nom familier

En 1964, avant de finir deuxième de la fameuse étape du Puy-de-Dôme confisquée par le duel Anquetil-Poulidor mais remportée par un autre Espagnol, Julio Jimenez, il avait gagné l’étape Luchon-Pau, un de ses grands classiques. En 1965, à l’heure de la retraite, Federico Bahamontes ouvrit à Tolède un magasin de cycles où trônera longtemps le plus beau vélo de sa collection : le sien, sur lequel il jure n’être jamais remonté. Mais il n’a jamais oublié le cyclisme : "Je revis ça tous les jours, ça me donne toujours autant d'émotion, et suivre les courses d'aujourd'hui, revoir les endroits où je suis passé, j'en ai la chair de poule et je suis heureux ", confiait-il encore au Monde. Dans la presse espagnole, en juillet 2021, il conseillait à Tadej Pogacar de ne pas trop se précipiter pour prendre le maillot jaune.
S’il n’a pas, dans l’histoire du cyclisme, une place parmi les super-cracks, Bahamontes a pourtant marqué. Dans la biographie qu’il lui a consacrée, Jean-Paul Ollivier évoque "cette Espagne qui ressentait le besoin, au sortir de la guerre civile, de se créer des personnages à la hauteur de ses fantasmes, héros positifs capables de panser ses déchirures et ses malentendus" et qui "va le conserver dans son histoire nationale au même titre qu’El Cordobès, le torero des années blêmes". Cette mémoire va bien au-delà de la Castille : à l’oreille des Français qui s’intéressaient au Tour de France sans en être des spécialistes, le nom de Bahamontes était aussi familier que ceux de Robic, Bobet, Gaul, Coppi, Bartali, Kubler et Koblet, dans cette France de l’après- guerre qui retrouvait la douceur de vivre.
Georges Perec, qui y cite (entre autres) André Darrigade et Ferdi Kubler, aurait pu l’ajouter à sa liste dans Je me souviens… Mais on retrouve Federico Bahamontes dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain quand, au moment de l’ouverture d’une boîte en fer, on entend en voix off André Dussolier qui murmure : "En une seconde, tout revient à la mémoire de Bretodeau…" Et d’abord "la victoire de Federico Bahamontes dans le Tour de France 59".
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