Tadej Pogacar, vainqueur du Tour des Flandres et cycliste total

Vous l'avez entendue cette litanie de noms, servie pour mesurer l'aspect historique du nouveau Pogi show. Eddy Merckx, pour une fois accompagné de Bernard Hinault, Louison Bobet, Fausto Coppi et Gino Bartali. Des noms qui résonnent, que l'on convoque parfois à tort et pour une fois à raison. Tadej Pogacar regarde ces légendes dans les yeux. On compare son palmarès aux leurs mais au fond il est d'une autre époque. Celle d'un cyclisme total.

L'arrivée de Tadej Pogacar dans les Flandres l'année dernière avait causé un certain émoi. On se demandait bien ce que pourrait faire l'imbattable slovène dans ces monts que l'on dit peu enclins à s'offrir au premier venu. La Belgique, surtout de ce côté-là, est une terre de labeur, la récompense se mérite et se mesure à la quantité de sueur laissée là entre les champs et les chemins pavés que les tracteurs abîment sans doute moins que "Pogi" quand il fout la course à l'envers.

On avait vu et on avait compris qu'il ferait un jour du "Ronde" sa chose comme ce fut le cas pour à peu près toutes les courses que l'on a proposées à son appétit d'ogre.

Nul besoin de connaître le terrain, votre talent peut le supplanter. Et si Pogacar ne quittera sans doute jamais Monaco pour ce petit coin de Belgique, il est depuis dimanche propriétaire d'un petit bout de légende qu'il s'est offert lui-même à la force de ses jambes et grâce à l'extrême insolence de son esprit d'aventurier. Une façon d'être qui colle finalement plus à ces courses d'un jour où tous les coups sont permis plutôt qu'au Tour de France où il doit compter ses coups de pédales. L'épisode Galibier-Granon l'a rappelé à cette triste réalité.

Le Tour des Flandres et Paris-Roubaix ne ressemblent à aucune autre course du calendrier. Ils partagent leurs routes pavées avec d'autres mais leur longueur, leur histoire et leur prestige leur confèrent un statut à part. Les remporter fait de vous quelqu'un d'autre. Un peu flandrien sur les bords, que vous soyez un voisin, un lointain cousin ou carrément un étranger comme Tadej Pogacar qui a acquis une nouvelle nationalité entre Bruges et Audenarde.

Les gagner vous rend spécial disions-nous donc. Mais alors, chaque coureur devrait avoir envie, s'il en a les capacités, de les dompter ? Élémentaire ? Oui pour une nouvelle génération biberonnée à rien d'autre qu'à l'idée de s'amuser, de s'écharper sur tous les terrains possibles, toute l'année. Si Pogacar est devenu ce dimanche seulement le troisième homme à faire le doublé Tour de France-Tour des Flandres, c'est en grande partie parce que son talent n'a pas de limite. Mais oublier que cette course fut pendant longtemps boudée par les coureurs de grands tours serait une erreur.

Nul question ici de minimiser l'exploit que celui d'égaler Eddy Merckx et Louison Bobet. Au contraire, magnifions-le, écrivons-le, crions-le : c'est tout à l'honneur de Pogacar d'être venu se battre avec des golgoths bien plus armés que lui pour franchir les monts. Ce sont ses devanciers qui se trompaient, pas lui. On a toujours raison quand on veut devenir plus que ce que l'on est censé être.

Dans sa manière de faire, le leader des UAE tranche aussi. Le sourire toujours, la classe, le panache aussi. Quel coureur dit où il va attaquer, explique pourquoi et le fait non pas une mais deux fois ? Nombreux sont les coureurs à "casser les codes", lui il les prend, les tort et s'en fait des bigoudis. Tadej Pogacar veut tout gagner mais pas comme un épicier. Il est "Pogi" le magnifique et récolte les fruits de son audace. Il est le cyclisme total.